Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
433
NOUVELLES LITTÉRAIRES.

chardon vient d’exécuter en marbre pour le roi, qui ne la verra qu’au retour de Compiègne. L’objet de ce grand sculpteur a été de représenter l’Amour qui, déjà vainqueur des dieux, entre autres de Mars et d’Hercule, s’est emparé de leurs armes et prétend changer la massue de ce dernier en un arc formidable qui ne trouve plus de cœurs à l’épreuve. Ce sujet paraît compliqué ; mais voici comment il a été simplifié par le génie de l’artiste.

La figure de l’Amour[1], qui n’est plus un enfant jouant dans les bras de sa mère, est de cinq pieds de proportion et, par conséquent, de la force et de l’âge qu’on donne à l’amant de Psyché ; avec l’épée de Mars qui est à ses pieds, entremêlée de copeaux, il a non-seulement dégrossi l’ouvrage, mais formé plus des deux tiers de son arc dont il commence à essayer le ressort et l’élasticité. Pour s’assurer d’un plein succès, il ne lui reste que le bout et le gros nœud de la massue à rabattre. Il était absolument nécessaire que cette dernière partie de l’opération ne fût pas achevée, pour ne laisser aucun doute ni sur la matière qu’il emploie ni sur l’usage qu’il en veut faire.

Vous concevez que pour commencer à faire plier un arc de cette grandeur et dont la partie inférieure est encore une masse informe, il faut employer bien de la force, et, comme c’est un dieu qui travaille, il est indispensable de lui conserver de la noblesse. Pour cela, il allonge la main gauche autant qu’il est possible à une figure debout, en force, et qui n’est par conséquent que médiocrement inclinée, et il appuie l’extrémité de ce même arc contre sa poitrine avec sa main droite pour la faire courber. Ce mouvement produit un balancement de figure des plus nobles et d’autant plus heureux qu’il ne paraît point recherché. Le soutien nécessaire au plus grand nombre de figures représentées debout et dont l’art est ordinairement très-mal caché se voit ici également heureux et bien trouvé. C’est un tronc de laurier qui repousse quelques branches chargées de feuilles et sur lequel la peau du lion de Némée paraît jetée au hasard. Elle groupe à merveille avec le casque et le bouclier de Mars, appuyés contre ce même tronc. Les plumes de ce

  1. Musée du Louvre, sculpture moderne, No 272. Il en existe une répétition dans le parc de Trianon.