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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/181

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salut d’un fils que les poursuivants ont résolu d’immoler pendant la nuit ; ces pasteurs jurent de défendre Télémaque. Elle le laisse avec eux, et retourne à Ithaque épier les nouveaux projets de ses ennemis. Piccini a fait suivre la tempête qui jette Ulysse sur ces bords d’un ballet dont les airs sont d’une fraîcheur et d’une sérénité qui contrastent de la manière la plus heureuse avec l’effet de l’orage, et prépare le chœur si aimable des nymphes rassemblées pour recevoir le héros.

Le troisième acte n’offre de changement qu’au dénoûment, dont M. Marmontel a rendu le mouvement beaucoup plus rapide ; Ulysse n’ordonne plus qu’on lui élève un tombeau, le poëte a senti que cet incident ne servait qu’à prolonger gratuitement le désespoir de Pénélope ; après l’air sublime qui le peint si vivement, Ulysse demande ses armes à son fils, et attaque les poursuivants. Minerve descend ensuite des cieux environnée des Muses et des Arts, qu’elle charge d’embellir le repos du héros qu’elle protége. Le théâtre change et représente des portiques, des colonnades et des arcs de triomphe élevés à la gloire d’Ulysse. Un ballet général termine l’opéra.

Ces changements, qui tous avaient été désirés, les beaux airs, et surtout le chœur imposant des pasteurs dont M. Piccini a encore enrichi cette belle composition, n’ont pas valu à la reprise de Pénélope les succès qu’on en devait espérer ; on a rendu justice à la musique ; elle a été vivement applaudie ; mais tout le talent de M. Piccini n’a pu soutenir un intérêt que nos mœurs actuelles semblent repousser : l’amour d’une femme de quarante ans pour un époux absent depuis vingt années pouvait difficilement attacher les spectateurs de nos jours, et il a fallu peut-être que cet amour fût consacré par l’Odyssée pour ne pas nous avoir paru presque ridicule. Aussi le succès de Pénélope ne peut-il être comparé à celui que continue d’obtenir l’opéra de Tarare ; la foule s’y porte comme le premier jour, mais les spectateurs que l’on voit se renouveler à chaque représentation de cet ouvrage, et dont les figures paraissent aussi étrangères à ce spectacle que le poëme l’est au théâtre lyrique, l’écoutent avec un silence et une sorte d’étourdissement dont il n’y a peut-être jamais eu d’exemple à aucun théâtre. Ce genre de succès est bien fait, par sa singularité, pour consoler les grands artistes et les gens de goût de l’affluence qui se porte à Tarare, et pour leur faire espérer que