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SEPTEMBRE.

1er septembre 1766.

Jamais les productions théâtrales n’ont été plus rares que cette année. La Comédie-Française, depuis l’ouverture de son théâtre après Pâques, n’a pas donné la moindre nouveauté. Elle s’était flattée pendant quelque temps d’obtenir la permission de jouer la Partie de chasse de Henri IV, par M.  Collé, et il est certain que le nom seul de Henri IV aurait fait porter cette pièce aux nues, quelque médiocre et quelque mal faite qu’elle soit d’ailleurs. Mais la question ayant été agitée dans le conseil d’État du roi, et les avis s’étant trouvés partagés, Sa Majesté s’en est réservé la connaissance, et il a été décidé depuis que la pièce ne serait pas jouée. La tragédie de Barnevelt ayant été également défendue, son auteur, M.  Lemierre, en a présenté une autre, intitulée Artaxerce, et imitée du poëme lyrique du célèbre Metastasio. Cette tragédie, qui vient d’être jouée sur le théâtre de la Comédie-Française[1], est sans contredit une des plus belles lanternes magiques que jamais Savoyard ait portées sur son dos. Un roi massacré dans son lit lorsqu’il y pense le moins ; son fils, soupçonné de ce meurtre, et immolé par son frère, qui est cependant un garçon vertueux, et qui ne se prête pas sans regret à ces petits expédients, qui en est même un peu fâché lorsqu’il découvre que ce frère, trop promptement expédié, est innocent, mais qui n’en aime pas moins l’auteur et l’exécuteur de ces conseils ; celui-ci, tranchant toujours toutes les difficultés par un petit crime, et n’étant contrarié que par un benêt de fils qui ne se sent pas la vocation de son père ; deux ou trois complots, une coupe empoisonnée, une bataille, deux victoires remportées sans coup férir ; enfin, un bon coup de poignard dans le ventre d’un coquin : voilà certainement une suite de tableaux des plus récréatifs, et M.  Lemierre ne manquerait pas de faire fortune en les portant, pendant les soirées de l’hiver, de maison en maison, pour faire venir la chair de

  1. Elle fut représentée pour la première fois le 20 août 1766.