Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/118

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très-piquant, et qu’elle m’a promis de conserver religieusement. Le jour de son départ, je me ferai dévot, et je prierai jour et nuit Celui qui tient dans ses mains le cœur des souverains, afin qu’il touche celui de l’auguste souveraine de Russie, et qu’il le porte à permettre à Marie-Victoire Collot de faire son buste, et à lui ordonner, quand il sera fait, de l’envoyer à Paris embellir la retraite d’un homme obscur, mais tout rempli de la gloire de Catherine. Et, à chaque répétition de cette prière, j’aurai soin de faire le signe de la croix selon le rite de l’Église grecque, et de m’écrier, avec componction et frémissement d’entrailles : Seigneur, ne punis point l’audace et la témérité des vœux de ton serviteur, et regarde en pitié l’excès de sa confiance.

— Nous avons fait depuis peu une perte qui mérite d’être remarquée. Mlle Randon de Malboissière vient de mourir à la fleur de son âge[1]. Elle avait environ dix-huit ou dix-neuf ans. M. de Bucklay, officier dans un de nos régiments irlandais, arriva quelques jours avant sa mort, dans le dessein de l’épouser, mais, dans le fait, pour lui rendre les derniers honneurs. Le jour marqué pour la célébration du mariage fut celui de l’enterrement. Cette jeune personne avait été destinée en mariage au jeune du Tartre, fils d’un célèbre notaire de Paris, et sujet de distinction pour son âge. Ce jeune homme, qui donnait les plus grandes espérances, fut enlevé l’année dernière par une maladie courte et vive, secondée de tout le savoir-faire du médecin Bouvart. On dit que la tendresse de Mlle de Malboissière pour ce jeune homme, et la douleur qu’elle ressentit de sa perte, n’ont pas peu contribué à abréger ses jours. Elle était déjà célèbre à Paris par ses connaissances. Elle entendait et possédait parfaitement sept langues, savoir : le grec, le latin, l’italien, l’espagnol, le français, l’allemand et l’anglais ; elle parlait les langnes vivantes dans la perfection. On dit ses parents inconsolables de sa perte, et c’est aisé à comprendre.

— Cette perte en rappelle une autre non moins sensible :

  1. Mme la marquise de La Grange a publié un intéressant recueil des lettres de Laurette de Malboissière (Didier, 1866, in-12). — Du Tartre était fils d’un très‑riche traitant ; son père était-il ce du Tartre dont Raynal (voir t. I, p. 255) cite une cruelle répartie à Ballot de Sauvot ? Nous avouons que nous n’avons aucune certitude à cet égard, ni sur la véritable orthographe du nom.