Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’Académie française distribue tous les deux ans paraissent successivement. Vous savez que le choix du sujet est abandonné à chaque poëte ; et ce n’est que le sujet du prix d’éloquence que l’Académie se réserve de donner. Elle a choisi pour sujet du discours à couronner l’année prochaine, l’éloge du roi de France Charles V, surnommé le Sage. Quant au prix de poésie de cette année, c’est M.  de La Harpe qui l’a remporté par une épître en vers, intitulée le Poëte. Son poëme, la Délivrance de Salerne et la fondation du royaume des Deux-Siciles, avait été couronné l’année dernière par l’Académie de Rouen. Ces couronnes académiques sont malheureusement de faibles dédommagements des disgrâces essuyées au théâtre ; c’est à la Comédie-Francaise qu’il eût été doux d’être couronné. On trouve dans l’épître couronnée par l’Académie française des vers bien faits, du style, de la correction, de la sagesse et un ton soutenu ; mais on n’y trouve ni chaleur, ni force, ni enthousiasme. Il n’y a là certainement ni ingenium, ni mens divinior, ni os magna sonaturum, ailleurs que dans le passage d’Horace mis en épigraphe sur le titre[1]. Cependant, quel sujet que de tracer le portrait du poëte ! et comment est-il possible de rester froid quand on parle à l’être le plus chaud qui existe ? Comment ne se détache‑t-il pas une étincelle de ce feu qui pénètre et dilate toutes les veines du poëte, pour se glisser dans l’âme de celui qui ose lui donner des préceptes ? C’est là le principal défaut de l’épître couronnée. M.  de La Harpe n’est certainement pas un homme sans talent ; mais il manque de sentiment et de chaleur : deux points essentiels sans lesquels il est impossible de se promettre du succès dans la carrière de la poésie. Mais quand on lui pardonnerait de ne s’être pas laissé gagner par la chaleur de son sujet, quand on regarderait son épître comme un ouvrage purement didactique, on n’en serait guère plus content. Ce n’est pas que tout ce qu’il y dit ne soit sensé ; mais tout cela est si superficiel et si faible que, quand un poëte aurait, dans le plus éminent degré, toutes les qualités que M.  de La Harpe exige de lui, il serait encore un assez pauvre homme.

L’Académie a accordé un accessit à une Épitre aux mal-

  1. Ingenium cui sit, cui mens divinior atque os
    Magna sonaturum,