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prix[1] ; et cet extrait prouve ou qu’il n’y a pas un seul sujet d’espérance parmi nos jeunes poëtes, ou, s’il y en a, qu’il ne daigne pas prendre l’Académie pour juge. Elle a mis à la tête de ces extraits deux pages d’une poétique bien mince. Quand le plus illustre corps de la littérature se permet de parler poésie, et de dire ce qu’il désire dans les pièces qu’on lui a adressées, il me semble qu’on devrait remarquer dans ses jugements un sens, une profondeur, une sagesse qui inspirât du respect pour son goût et pour ses lumières. Quand Catherin Fréron dira d’une pièce qui manque de liaison et de succession dans les idées, que c’est comme un cercle qui tourne sur lui‑même, que c’est du mouvement sans progrès, je le trouverai très-bon ; mais quand c’est l’Académie française qui parle si mesquinement, je hausserai les épaules. Elle pourrait ajouter que le poëte ressemble, dans ce cas, à Arlequin courant la poste à s’essoufler sans bouger de sa place.


15 septembre 1766.

L’empire de la Chine est devenu, de notre temps, un objet particulier d’attention, d’étude, de recherches et de raisonnement. Les missionnaires ont d’abord intéressé la curiosité publique par des relations merveilleuses d’un pays très-éloigné qui ne pouvait ni confirmer leur véracité ni réclamer contre leurs mensonges. Les philosophes se sont ensuite emparés de la matière, et en ont tiré, suivant leur usage, un parti étonnant pour s’élever avec force contre les abus qu’ils croyaient bons à détruire dans leur pays. Ensuite les bavards ont imité le ramage des philosophes, et ont fait valoir leurs lieux communs par des amplifications prises à la Chine. Par ce moyen, ce pays est devenu en peu de temps l’asile de la vertu, de la sagesse et de la félicité ; son gouvernement, le meilleur possible, comme le plus ancien ; sa morale, la plus pure et la plus belle qui soit connue ; ses lois, sa police, ses arts, son industrie, autant de modèles à proposer à tous les autres peuples de la terre. Quelle vue sublime ! s’est-on écrié, quel ressort puissant que celui qui constitue l’autorité paternelle comme le modèle de l’autorité du

  1. Extrait de quelques pièces présentées à l’Académie Française, etc. Paris, Regnard, 1766, in-8o.