Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement ! Tout l’État, grâce à ce principe, n’est plus qu’une vaste famille où l’équité et la douceur règlent tout, où les gouverneurs, les administrateurs, les magistrats, ne sont que des chefs d’une même famille d’enfants et de frères. Quel pays que celui où l’agriculture est regardée comme la première et la plus noble des professions, et où l’empereur lui-même, à un certain jour de l’année, se met derrière la charrue et laboure une portion d’un champ, afin d’honorer publiquement la condition du laboureur ! On sait en quelle recommandation l’étude des lois, de la morale et des lettres est à la Chine ; elle seule peut frayer le chemin aux places du gouvernement, depuis la plus petite jusqu’à la plus importante. La morale de Confutzée, que nous nommons vulgairement Confucius, mérite, de l’aveu de tout le monde, les mêmes éloges que les chrétiens ont donnés à la morale de l’Évangile. Si le peuple a ses superstitions, si ses bonzes le repaissent de fables et d’absurdités, tout le corps des lettrés, tout ce qui tient au gouvernement est très-éclairé, n’admet que l’existence d’un Être suprême, ou est même absolument athée, La population prodigieuse de cet empire, en comparaison duquel notre Europe n’est qu’un désert, suffit pour prouver infailliblement que ce peuple est le plus sage et le plus heureux de la terre. Il n’est pas guerrier, à la vérité, et il a été subjugué ; mais voyez la force et le pouvoir de ses lois et de sa morale ! les vainqueurs ont été obligés de les adopter et de s’y soumettre : en sorte que, vu ces avantages, si le peuple chinois, à l’exemple de la horde juive, voulait se regarder, par fantaisie, comme le peuple choisi de Dieu, à l’exclusion de toutes les autres nations, il ne serait pas aisé de lui disputer cette prérogative.

Il faut convenir qu’un esprit solide, accoutumé à réfléchir, formé par l’expérience, et qui ne s’en laisse pas imposer par des phrases, ne sera pas séduit par ce tableau brillant ; il sait trop combien les faits diffèrent ordinairement de la spéculation. Il ne s’inscrira pas précisément en faux contre les dépositions des panégyristes de la Chine ; mais il en doutera sagement. Il ne se prévaudra ni de l’autorité de l’amiral Anson, dans son Voyage autour du monde[1], parce qu’enfin il peut avoir eu un

  1. À Voyage round the World, in the years 1740 to 1745, by Georges lord