Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/128

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Je ferai quelque jour une apologie dans les formes des plats et mauvais livres ; ils sont sans prix pour un bon esprit. Pour la connaissance de l’esprit public de Rome, immédiatement après la perte de la liberté, esprit d’avilissement si incompréhensible, même en le comparant à l’époque de la liberté expirante à laquelle il touche immédiatement ; pour cette connaissance, dis-je, s’il fallait opter entre Tacite d’un côté, et Suétone et quelques écrivains de sa trempe de l’autre, je ne balancerais pas : c’est Tacite que je sacrifierais. Quoi, le plus profond génie ! et contre qui ! Oui, parce que l’homme de génie se rend maître de son tableau, et lui donne la face qu’il veut, au lieu que l’homme plat en est maîtrisé et en représente fidélement l’ordonnance véritable. Et puis, tout ce qu’un plat livre apprend de vérités importantes sans y tâcher ! Tous ceux qui font quelque cas des progrès de la saine critique doivent faire des vœux pour la conservation des mauvais livres.

Au reste, si ce que j’ai lu dans quelques voyages en Russie est vrai, ce peuple observe dans le mariage plusieurs cérémonies qui ressemblent à celles qui se pratiquent en Chine en pareille occasion : observation qui n’est pas peut-être à négliger. Mais peut-être tout ce roman chinois dont on vient de nous donner la traduction, n’est-ce qu’un ouvrage supposé. Ma foi, en ce cas, que l’imposteur se montre, et si c’est un Européen, je le regarderai comme un des plus grands génies qui ait jamais existé. Il aura créé un système de mœurs tout à fait étranger à l’Europe : système vrai, et qui se tient dans toutes ses parties ; et ce n’est certainement pas une petite chose.

On a ajouté à ce roman l’argument d’une comédie jouée à Canton en 1719. Cette comédie est passablement mauvaise, au moins à en juger par cette esquisse ; mais c’est toujours du côté des mœurs et des inductions qu’on en peut faire sur la vie privée et sur les usages des Chinois qu’il faut regarder ces pièces : ce sont des pièces servant utilement à l’instruction du procès. Après cette esquisse, on lit quelques fragments de poésie chinoise, et puis un recueil assez considérable de proverbes et d’apophthegmes chinois ; et cette lecture vous confirmera dans l’idée que le peuple chinois est sans élévation et sans énergie, et sa morale pratique très-convenable à un troupeau d’esclaves vexés et craintifs.