Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/175

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laisse très-froid sur l’intérêt de tous les acteurs. Cependant une femme charmante, mariée en premières noces à un homme d’un caractère détestable, qui en devient veuve, et se prend de passion pour un homme distingué en tous points, mais qui est marié, une telle femme pouvait, ce me semble, inspirer de l’intérêt. C’est que l’auteur du roman manque de force, et qu’on ne fait rien qui vaille sans cela. Comment ! Mme  de Sancerre aime un homme marié, elle aime sans espérance, et elle est d’une tranquillité à vous endormir ? Ce n’est pas tout à fait là le caractère de la passion. Il est vrai que la femme de l’homme qu’elle aime sans espérance est contrefaite, et qu’on lui promet que cette femme mourra en couches : ce qui ne manque pas d’arriver ; mais tout cela est bien peu heureux, quoiqu’il en résulte le mariage de Mme  de Sancerre en secondes noces avec un homme accompli. Les incidents qui tiennent au fond et qui sont imaginés pour retarder le dénoûment ne sont pas plus heureux. Le commencement du roman est un peu embrouillé et embarrassé de détails obscurs dont on ne sent pas encore la nécessité. C’est un grand art de ne développer du fond de sa fable que ce qu’il en faut, et qu’à mesure que la fable chemine. Avec ce secret, on est clair, précis, intéressant. Les critiques d’un goût sévère diront encore que Mme  de Sancerre n’a pas le style de son caractère. Il est certain qu’une femme d’un caractère doux, sans aucune pétulance, d’une âme sensible et brisée par de grands malheurs, et qui a toujours poussé la patience jusqu’à l’héroïsme, n’a pas le style vif et pétillant de Mme  Riccoboni ; mais c’est que c’est une grande affaire que de donner à chaque personnage son style, et il faut du génie pour cela. Le style de Mme  Riccoboni convient à merveille à Mme  de Martigues, autre personnage du roman, d’un caractère vif, enjoué, étourdi. Le marin que l’auteur introduit à la fin est une mauvaise copie de Freeport dans la comédie de l’Écossaise. Ce roman, tel qu’il est, a pourtant eu une sorte de succès. On a dit froidement : C’est assez joli ; mais lorsque Juliette Casteby et Ernestine parurent, on s’écriait : Ah ! que c’est charmant ! Mme  Riccoboni a dédié sa Comtesse de Sancerre à David Garrick. Je n’aime pas son épître dédicatoire.

— Les Mémoires de madame la marquise de Crémy, écrits par elle-même, font un autre roman nouveau, en deux volumes