Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/176

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in-8° assez considérables[1]. On dit que ce roman a eu beaucoup de succès à la cour. Je ne serais pas étonné qu’il eût aussi un peu de vogue à Paris ; car il est de cette heureuse médiocrité qui fait réussir pendant plus de huit jours révolus, et sur laquelle tout le monde s’écrie aussi, mais en bâillant, et avec un flegme qui pétrifie : Ah ! que c’est charmant ! Dieu me préserve, moi, de trouver cela jamais supportable ! Cela n’a ni couleur, ni force, ni l’ombre du talent. C’est un camaïeu de trente pieds de haut sur cinquante pieds de large, d’un blafard, d’une faiblesse, d’une fadasserie, d’une insipidité à vous faire mourir. Mme  de Crémy est une jeune personne qui vit dans le monde sous l’autorité d’une mère frivole et volage, et qui n’a que son plaisir en tête. Elle a contracté au couvent une amitié fort étroite avec une religieuse qui s’appelie Mme  de Renelle. Cette religieuse dirige de son couvent les actions de la jeune personne. C’est une moraliste à vous faire périr d’ennui. Je trouve d’ailleurs sa morale d’un rétréci et, la plupart du temps, d’un faux magnifique. Si j’avais une fille, je serais au désespoir de lui remplir la tête de ces pauvretés et de ces faussetés-là. Mme  de Crémy s’en trouve si bien cependant qu’elle résiste deux ou trois fois à des goûts très-décidés qu’elle avait pris pour des gens fort aimables en apparence, mais qui étaient ou dangereux ou incapables de la rendre heureuse. Elle finit par épouser un homme qu’elle n’aime point du tout, et avec qui elle est parfaitement heureuse. Le résultat moral saute aux yeux : c’est qu’il faut toujours épouser les gens qu’on n’aime pas. En ce cas, je devrais épouser Mme  de Crémy quand elle sera veuve ; mais je ferai exception à la règle de la religieuse, et, en ma qualité d’hérétique, je persisterai à croire que la morale de couvent, si prudente et si méfiante, est une fort mauvaise morale pour une jeune personne bien née. Je ne serais pas étonné que la marquise de Crémy fût propre sœur du marquis de Roselle, trépassé depuis deux ans, après avoir été fort à la mode pendant quelques semaines. Si je devine juste, la mère de

  1. Les Mémoires de madame la marquise de Crémy sont (malgré la conjecture à laquelle Grimm se livre à la fin de son article) de la marquise de Miremont. Ils ont été réimprimés en 1808 chez le libraire Léopold Collin, en 3 vol. in-12. On doit à la même dame le Traité de l’éducation des femmes, ou Cours complet d’instruction, Paris, Pierres, 1779-89, 7 vol. in-8o, (B.)