Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duire sur la place, devant son palais à Moscou. Là, ces malheureux se mirent à genoux, la tête sur le billot, au nombre de cent soixante, si je ne me trompe, pour recevoir le coup de hache, et restèrent dans cette attitude pendant deux ou trois heures, en attendant ce qu’il plairait enfin à leur maître irrité d’ordonner de leur sort. Voilà les mœurs des esclaves.

— On vient de publier un Abrégé de l’histoire de Port‑Royal, par M.  Racine, de l’Académie française, pour servir de supplément aux trois volumes des œuvres de cet auteur, volume in-12 de trois cent soixante pages. Jusqu’à présent il n’avait paru qu’une partie de cette Histoire, que Despréaux regardait comme le plus parfait morceau d’histoire que nous eussions dans notre langue. Elle sera plus recherchée aujourd’hui par la célébrité du nom de Racine que par le fond du sujet, qui n’intéresse plus que quelques jansénistes. L’éloge de Despréaux vous paraîtra bien outré.

— Le voyage de Mme Geoffrin à Varsovie a été un sujet d’entretien et de curiosité pour le public pendant tout le cours de l’été. Le succès, qui justifie tout, a fait taire les censeurs. On a su l’accueil qu’elle a reçu à Vienne ; on l’a vue revenir avec la meilleure santé, tout aussi peu fatiguée que si elle rentrait d’une promenade ; et ce qui avait paru ridicule et même téméraire est devenu tout à coup beau et intéressant, suivant l’usage. Au mois de mai dernier, c’était une chose inconcevable qu’une femme de soixante-huit ans, qui n’était presque jamais sortie de la banlieue de Paris, risquât un voyage de plus de onze cents lieues, en comptant le retour, sans un motif de la dernière nécessité. En ce mois de novembre, c’est devenu une entreprise de toute beauté, d’un courage étonnant, une marque d’intérêt et d’attachement unique pour le roi de Pologne. Il faut que les oisifs aient une grande manie de juger de tout à tort et à travers. Je n’ai du moins jamais pu comprendre comment on mettait tant de chaleur à approuver ou à condamner des actions qui n’importent en aucune manière à qui que ce soit, et qui doivent de toute justice être au choix et aux risques de chaque particulier. Depuis le retour de Mme Geoffrin, on a vu à Paris des copies de la lettre suivante, et on n’aurait pas bon air de se présenter dans le monde sans l’avoir vue.