Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/233

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— J’ai eu occasion, ces jours passés, d’assister à une lecture de la tragédie des Scythes. Cette pièce m’a paru faiblement et souvent mal écrite ; mais surtout elle ne m’a pas paru intéressante, et je doute que, dans l’état où elle est, elle puisse obtenir au théâtre même un succès passager. C’est déjà un assez grand malheur poétique qu’il y ait une loi en Scythie qui oblige les femmes de massacrer le meurtrier de leur époux de leurs propres mains ; cette loi ne parait pas naturelle, et je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une nation sous le soleil qui ait commis au sexe le plus faible le soin de la vengeance sur le sexe le plus fort. Qu’Iphigénie, devenue prêtresse de Diane en Tauride, se trouve dans le cas de sacrifier son propre frère dans un pays où tous les étrangers qui abordaient cette plage fatale étaient dévoués à la déesse, rien n’est plus naturel et plus intéressant : l’histoire nous prouve que tel a été de tout temps l’esprit de toute religion. Le code scythe, promulgué par Hermodan, ne me paraît pas aussi bien fondé dans la nature. Mais enfin, puisque M.  de Voltaire avait besoin d’une loi qui ordonnât que la mort de l’époux serait vengée sur le meurtrier par la main de l’épouse, afin de pouvoir mettre Obéide dans la nécessité de lever le glaive sur le seul homme qu’elle eût jamais aimé, il fallait du moins arranger cette machine, en elle-même puérile, de manière qu’elle produisit quelque effet ; et elle n’en fait aucun. Il fallait qu’il fût d’usage en Scythie que, pendant la cérémonie du mariage, la femme s’engagent par serment à l’observation de cette loi et de quelques autres. Au moyen de cette formalité, nous aurions eu connaissance de cette loi dès le second acte ; et lorsque la querelle se serait engagée entre Athamare et Indatire, nous aurions pu concevoir quelque inquiétude. Au lieu que ni Obéide, ni le spectateur, ne connaissant cette loi qu’au moment où le poëte en a besoin pour sa catastrophe, c’est-à-dire au cinquième acte, elle ne produit pas le plus léger frémissement pour le sort d’Obéide. En général, ni la fable, ni l’exécution, ni les détails, rien ne me paraît heureux dans cette nouvelle tragédie, et je fais des vœux pour que son illustre auteur consacre le reste de ses années à des occupations plus satisfaisantes pour le public, et plus glorieuses pour lui‑même.

M. Servan, avocat général au parlement de Grenoble, a