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AVRIL 1767.

ne reconnaît pas le célèbre Mathieu Molé pour aïeul. Cet acteur joue avec beaucoup de succès dans le haut comique. Son jeu n’est pas très-varié, mais il est plein de chaleur et d’agrément. On ne peut pas dire que Molé soit un comédien sublime ; mais, dans l’état de disette ou nous sommes, c’est un acteur essentiel à la Comédie-Française. Il tomba dangereusement malade au mois de Janvier dernier d’une fluxion de poitrine ; la crainte et les regrets de le perdre furent extrêmes. Le parterre, toujours enchanté de jouer un rôle et de parler, surtout depuis que les sentinelles placées à chaque pilier l’ont privé de sa prérogative de dire tout haut sa pensée, le parterre, dis-je, s’avisa un jour, après la pièce, de demander des nouvelles du malade. On lui en dit de fort mauvaises, et depuis ce moment il en demanda tous les jours pendant six semaines de suite, jusqu’à la parfaite guérison. Cette attention rendit la maladie de Molé célèbre et intéressante ; les femmes s’en mélèrent, et bientôt ce fut un air de savoir au juste l’état du malade. On avait appris que son médecin lui avait ordonné pour sa convalescence de boire un peu de bon vin vieux. Tout le monde s’empressa de lui en envoyer, et en peu de jours M. Molé, accablé de présents, eut la cave la mieux garnie de Paris. Tant de marques d’intérêt et de faveur devaient bientôt faire place à un déchaînement qu’il n’était pas aisé de prévoir.

On avait su, pendant la maladie, que M. Molé n’était pas l’homme le plus rangé, et qu’il avait pour environ vingt mille livres de dettes ; Mlle Clairon offrit, pour les payer, de jouer par souscription, au profit de Molé, sur un théâtre particulier, une fois sans tirer à conséquence. On fixa les billets de souscription à un louis, en permettant à chaque souscripteur de donner au delà, suivant le degré de sa générosité. Mlle la duchesse de Villeroy, Mlle la comtesse d’Egmont, et plusieurs autres dames du premier rang, se chargèrent de la distribution des billets. Ce projet prit mal dans le public. Mlle Clairon a eu le malheur de choquer infiniment ce public par un peu trop de prétention à la considération. On ne lui a pas pardonné sa retraite, et l’animosité qu’on remarque contre elle est telle qu’elle ne pourrait reparaître sur le théâtre de sa gloire sans essuyer peut-être quelque désagrément marqué. On dit que Molé, de son côté, a beaucoup de suffisance et de fatuité. Bientôt il