Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
AVRIL 1767.

route, elle leur causa la plus grande et la plus agréable surprise. Cependant Nirsa fit remarquer à Nadine que son amant, privé de la lumière, lui resterait bien plus sûrement fidèle que lorsque l’usage des yeux lui aurait fait connaître tant de beautés diverses. La tendre Nadine, plus occupée du bonheur de Zulmis que de ses propres intérêts, aima mieux risquer de perdre le cœur de son amant que de le voir plus longtemps privé de la lumière du jour. C’est Zulmis qui ne se soucie presque plus de voir, quand il apprend que sa tendresse en pourrait souffrir quelque atteinte. On est accoutumé à ces combats de générosité au théâtre et dans les contes. Ici, il n’y avait point de temps à perdre. Ainsi on se rend au temple, et en présence des parents, la prétendue Alibeck ouvre les yeux de Zulmis et couronne l’amour des deux amants en les unissant. Après quoi il se fait reconnaître pour la fée Nirsa, et remonte dans les régions aériennes, après avoir comblé les jeunes époux de présents et de bienfaits, et annonce que Zulmis serait toujours constant a Nadine.

M. Desfontaines a imaginé de faire de ce conte une espèce de pastorale en deux actes, mêlée d’ariettes suivant le goût des opéras-comiques d’aujourd’hui. M. Desfontaines est un insigne barbouilleur. Il a donné une Bergère des Alpes sur le théâtre de la Comédie-Française, il y a quinze mois. C’était une mauvaise drogue ; son Aveugle de Palmyre, qui vient d’être joué sur le théâtre de la Comédie-Italienne, est encore plus détestable. Au lieu de la fée Nirsa, qui prend la figure d’Alibeck, M. Desfontaines fait revenir ce grand-prêtre en personne, et lui fait jouer le rôle que la fée joue dans le conte. Comme toute la pièce n’aurait jamais fourni que deux scènes avant le dénoûment, et que M. Desfontaines en a voulu faire deux actes, il a imaginé de donner à Nadine une rivale sous le nom de Thelamis. Gette Thelamis est une méchante coquine, pleine de coquetterie et d’artifice. Elle brouille les deux amants. Elle vient voir Zulmis sous le nom de Nadine, et ni la voix de Thelamis, ni sa main, qu’il saisit à plusieurs reprises, ne l’avertissent de la tricherie, quoique les discours de Thelamis soient absolument opposés aux sentiments de Nadine. Tout cela est d’une bêtise et d’une insipidité rares. Cette pièce a été sifflée à la première représentation ; mais ce n’est plus la mode de se le tenir pour dit. On l’a donnée une seconde fois, et elle a eu cinq ou six