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MAI 1767.

pour procurer à l’Europe une, paix perpétuelle au moins de cinquante ans ; car il n’est pas à présumer qu’il y ait aucun souverain au monde assez hardi pour faire la guerre, tandis que les discours de MM. de La Harpe et Gaillard seront dans leur primeur, que j’évalue à un demi-siècle. Qui ne voudrait avoir payé cette somme du plus clair de son bien, et se coucher le soir avec la certitude d’avoir sauvé la vie à des milliers d’hommes que la guerre aurait moissonnés sans cette dépense ? M. Gaillard, a la vérité, ne prétend pas nier que ce projet de paix perpétuelle n’ait ses difficulté, dont la plus grande, dit-il, sera toujours de vouloir fermement l’exécuter ; mais, ajoute-t-il, que l’ont veuille seulement, et les difficultés aplaniront, M. Gaillard est un de ces esprits lumineux qui portent la conviction partout ; son raisonnement est sans réplique.

À parler plus sérieusement, on ne peut assez s’étonner qu’on ait cherché à renouveler de nos jours cette rêverie de l’abbe de Saint-Pierre, et qu’il se soit trouvé un assez bon citoyen pour y dépenser son argent. Bon citoyen, je rétracte cette épithète, et je ne trouve guère d’argent plus mal employé que celui qui a servi à payer ces prix. Vous conviendrez aisément, je pense, que tous ces discours ensemble ne feront pas tirer un coup de fusil de moins en Europe ; c’est là cependant le moindre tort du bon israélite inconnu. Un plus réel, c’est de donner à nos jeunes gens une occasion de plus d’employer leur rhétorique à des futilités de cette espèce. Les occasions de se montrer vraiment éloquent sont déjà assez rares parmi nous sans qu’on se donne la peine de tourner les efforts de la jeunesse sur les objets propres à répandre le goût du bavardage et de la déclamation. Que M. Gaillard s’exerce sur des pauvretés de cette espèce, il n’y a pas grand mal ; la platitude de son style le tient tout juste au niveau de la matière ; mais quoique M. de La Harpe ait plus besoin qu’un autre de vingt-cinq louis, je suis presque fâché qu’il ait gagné ce prix. Ce jeune homme a du style et du talent, et le discours que l’Académie française vient de couronner vous en donnera une nouvelle preuve. Il s’agit seulement de lui faire trouver le genre auquel il est propre, et ce n’est pas en faisant des phrases sur les malheurs de la guerre et sur les avantages de la paix qu’il en fera la découverte.

Qu’il me soit permis de faire au bon israélite qui a jugé à