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MAI 1767.

[1]. On a beau lire la prose et les vers de M. de Pezay, il n’en reste rien, absolument rien ; c’est un gazouillement sans idées ; autant vaudrait perdre son temps à étudier le sifflement d’un serin. M. d’Alembert a très-plaisamment appelé M. de Pezay le bémol de M. Dorat.

M. Mercier, à l’enseigne de l’Homme sauvage, a cherché un sujet d’héroïde dans le recueil des causes célèbres. Il y a trouvé un moine, qui, en gardant le corps mort d’une jeune personne, se sent possédé par le diable de la luxure. Il s’abandonne à son incontinence, et fait un miracle lorsqu’il y pense le moins : la jeune fille expirée ressuscite. Elle s’était couchée fille, et se relève mère ; et lorsque le funeste secret est découvert, le moine, auteur du miracle, est enfermé dans un cachot[2]. Voilà le héros de M. Mercier, qui, du fond de son cachot, écrit sa dégoûtante aventure à son ami, en vers alexandrins. Pour égayer le sujet, M. Mercier a fait tirer son estampe en rouge. Tout prouve que M. Mercier est un garçon plein de goût.

Le grand Poinsinet, dont Philidor a fait réussir les pièces par sa musique, à notre grand ennui, détriment et dommage, vient aussi de s’essayer dans le genre de l’héroïde. Il a fait écrire Gabrielle d’Estrées à Henri IV[3]. M. Blin de Sainmore s’était déjà fait le secrétaire de cette célèbre et intéressante beauté ; mais celui-ci ne l’a fait écrire qu’à l’article de la mort. M. Poinsinet nous la montre bien portante, quoique plaintive. Henri, déterminé par le sévère Mornay, part sans la voir : voilà le sujet de sa douleur. Mais elle n’a pas fini sa lettre que son héros revient victorieux et vole dans ses bras. Vraisemblablement le tendre Henri s’abandonne à ses transports sans lire la lettre de M. Poinsinet, et moi, je ferai comme lui, quoique je n’aie pas de Gabrielle a consoler.

— On vient de traduire de l’anglais un petit roman intitulé le Ministre de Wakefield, histoire supposée écrite par lui--

  1. Figure, vignette et cul-de-lampe d’Eisen, gravés par Noé. Le Guide de MM. Colien et Mehl attribue cette héroïde à Dorat.
  2. Lettre de Dulis à son ami. Londres et Paris, 1767, in-8°. Figure, vignette et cul-de-lampe de Gabriel de Saint-Aubin, gravés par Mer. La seconde édition de cette héroïde (1768) est ornée d’une figure et d’une vignette par Moreau, gravées par Longueil, et d’un cul-de-lampe par Thérèse Martinet.
  3. Amsterdam, 1767, in-8°, Figure de Gravelot, gravée par Levasseur.