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JUIN 1767.

il n’y a point de papier ; où il n’y a point de papier, il n’y a point d’imprimerie ; où il n’y a point d’imprimerie, la sottise croît comme chiendent, et les fripons sont les maîtres des princes et des peuples. Ainsi c’est l’usage funeste de porter des chemises qui a causé le malheur du genre humain, en lui faisant secouer le joug des prêtres, et en lui persuadant que la raison et la justice tout court sont des guides plus sûrs pour arriver au bonheur que les jeûnes, les prières, les macérations, les legs pieux et tout l’attirail des vertus favorables à l’Église, à l’autorité et aux revenants-bons de ses ministres.

Il faut quelquefois rire, malgré qu’on en ait, de peur de pleurer de douleur ou de frémir d’indignation. Les chicanes que la Sorbonne fait à l’auteur de Bélisaire depuis trois mois peuvent faire rire les hommes sensés du bout des lèvres, à cause de leur extrême platitude ; mais elles ont un côté qui soulève et indigne toute âme sensible, car il ne faut pas s’y tromper : que Titus et les Antonins soient en enfer ou en paradis, rien n’est plus égal à cette troupe de vieux radoteurs, qui ont le droit de déraisonner au prima mensis de la Sorbonne ; mais avoir soutenu que les princes ne doivent persécuter personne pour la cause de la religion, voilà le tort véritable et impardonnable de M. Marmontel. La Sorbonne ne s’en est pas cachée dans cet Indiculus des propositions extraites du livre de Bélisaire. Vous avez vu quelles sont les maximes qui lui déplaisent. Il est vrai que lorsqu’elle a remarqué le mauvais effet que son Indiculus produisait dans le public, elle s’est repentie d’en avoir laissé échapper quelques exemplaires ; mais elle ne s’est pas repentie de l’atrocité de ses maximes. Dans les conférences multipliées que l’auteur de Bélisaire a eues avec des docteurs de Sorbonne en présence de l’archevêque de Paris, pour tâcher de convenir d’une rétractation qui put lui éviter une censure publique, les voix se sont surtout réunies contre la tolérance. Le docteur Le Fèvre s’est écrié : Oui, sans doute, la religion est douce et ne connaît que les armes de la persuasion ; mais le prince doit-il laisser tout faire à la persuasion, et Dieu lui a-t-il confié le glaive pour rien ? Le sang humain n’a donc pas encore assez coulé au gré de ces monstres impitoyables, et l’histoire, qui rapporte tant d’affreux massacres, n’a pas encore assez de monuments sanglants qui attestent notre barbarie et