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JUIN 1767.

dictoires présentées par le bachelier, sont imprimées sur deux colonnes et placées les unes vis-à-vis les autres ; mais cela est imprimé en si menu caractère et si confusément que le lecteur est rebuté et que le principal effet en sera manqué. Je crois que ce bachelier ubiquiste pourrait bien être proche parent de M. l’abbé Morellet.

Enfin, pour compléter l’histoire des infortunes de Bélisaire, qu’un grand et aimable ministre a comparées aux vingt-six infortunes d’Arlequin, il faut ajouter à tout ceci que l’avocat Marchand en a fait la parodie sous le titre d’Hilaire, par un métaphysicien. Brochure in-12 de deux cent quarante pages. C’est le coup de pied de l’âne. Cet avocat Marchand, qui passe pour un aigle et pour un fort bel esprit dans certaines maisons du Marais, est le plus mauvais plaisant de tous les mauvais plaisants de Paris. Il est lourd et bête à faire plaisir. Hilaire est un vieux sergent réformé, et accusé d’avoir fait la contrebande. Voilà le travestissement de Bélisaire ; tous les autres personnages du roman sont à peu près aussi heureusement et aussi spirituellement déguisés. Il n’y a pas d’ailleurs le mot pour rire, et toute la parodie est d’une insipidité et d’une platitude magnifiques. On dit que cet avocat Marchand, qui fait de si jolies plaisanteries, est fort baissé depuis quelque temps, qu’il est devenu hypocondre, cacochyme et atrabilaire. Quel malheur pour les soupers du Marais, dont il était l’âme !

— Jeanne Catherine Gaussem de Labzenay, pensionnaire du roi, vient de mourir à la Villette, près de Paris, dans un âge peu avancé. Suivant quelques mémoires, elle n’aurait que cinquante-un ans ; d’autres lui en donnent près de soixante[1] : c’est cette actrice connue sous le nom de Mlle Gaussin, et célèbre en Europe dès sa première jeunesse par les vers que M. de Voltaire lui adressa après la première représentation de Zaïre, elle a fait pendant trente ans les délices du public sur la scène, et même hors la scène de la Comédie-Française. Mlle Gaussin avait la plus belle tête, les plus beaux yeux, le son de voix le plus doux et le plus enchanteur ; dans les dernières années de son service au théâtre, elle avait perdu les grâces de la taille ; mais elle avait conservé d’ailleurs un air de fraîcheur et de

  1. Elle était née le 25 décembre 1711, à Paris.