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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

les traces, et dont le résultat a été la forme actuelle de notre globe. J’ajoute que si la théorie des comètes nous était mieux connue, si nous pouvions calculer avec précision le moment de leur entrée dans notre système planétaire, et fixer d’avance les points principaux de leur révolution, nous saurions indiquer le choc et la rencontre de ces corps avec notre globe, et rendre compte d’autres évènements de cette espèce avec autant de facilité que nous prévoyons aujourd’hui une éclipse terrestre ou lunaire. Sur tout cela il y aurait de grandes choses à dire et de profondes réflexions à faire, dont la plus simple est que le monde est bien vieux et que nous sommes une espèce d’insectes bien présomptueux de nous flatter, avec nos misérables yeux et notre existence d’un instant, d’en pénétrer l’essence.

Une autre marotte de M. Bazin tout aussi peu philosophique que son huître de Touraine, c’est qu’il ne veut pas que rien s’engendre par la putréfaction. Une épaule de mouton se pourrit par les grandes chaleurs ; « s’il en sort des vers, dit-il, c’est qu’une mouche y a déposé ses œufs. Mais enveloppez bien cette épaule, empêchez les mouches d’en approcher, et il n’en sortira plus de vers ». Ah ! grand Bazin, vous dormiez donc aussi quelquefois de votre vivant ? Quel raisonnement ! Quel défaut choquant d’expérience ! Je vous assure qu’il en sortira également des vers, un peu plus tard seulement, parce que vous aurez gêné l’action de l’air, et par conséquent retardé le moment de la décomposition. Vous me répondez à cela qu’une mouche y a pénétré à notre insu, et pour vous guérir de votre mouche par une autre expérience je n’oserai alléguer les observations microscopiques et les anguilles de votre ami Needham, jésuite irlandais, car, Dieu merci, votre intime ami M. Covelle a rendu ces anguilles si ridicules que de cinquante ans on ne pourra en parler sans exciter la risée de tous ceux qui, pour aimer à philosopher, n’en aiment pas moins à se divertir. Laissons donc le jésuite aux anguilles, et ouvrons un excellent journal latin qui se publie à Leipsick sous le titre de Commentarii de rebus in medicina gestis. Vous y trouverez une expérience aisée à répétér. Prenez un morceau de viande, et faites-en de bon bouillon ; versez ce bouillon tout bouillant dans une bouteille bien rincée. Fermez cette bouteille hermétiquement. Oubliez-la pendant cinq à six semaines. Quand, au bout de ce temps-la, vous la reprendrez