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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Aujourd’hui, le principal but de l’abbé de Guasco en publiant les Lettres familières du président, sans se nommer comme éditeur, c’est de se donner à lui-même beaucoup d’éloges, de se rengorger de l’amitié d’un homme illustre qui lui parlait de ses prés et de ses vignes, et surtout de se venger de ce prétendu affront qu’il a reçu de Mme Geoffrin il y a plus de douze ans. En conséquence, il a farci ce recueil de notes très-injurieuses pour cette femme célèbre. Il rapporte même deux lettres du président à lui adressées et relatives à cette tracasserie, où le président parle en termes peu mesurés de Mme Geoffrin, et se promet de rompre toute liaison avec elle. Ce sont ces lettres et ces notes qui ont été supprimées dans l’édition de Paris, et le public y perd bien peu. L’abbé de Guasco, en sa qualité d’éditeur anonyme, expose les prétendues raisons qui l’ont fait chasser de la maison de Mme Geoffrin ; mais il oublie la principale et la seule véritable, c’est l’ennui dont il s’exhalait de lui une atmosphère à une lieue à la ronde : c’était un des plus grands seccatori de l’Europe savante et galante.

Il faut au reste être bien bas, bien infâme, pour imprimer ces vilenies après plus de douze ans ; c’est s’être donné le temps de la réflexion. Je dis que l’auteur de ces notes a fait une infamie, parce qu’il voudrait donner à Mme Geoffrin l’air d’une complaisante qui se prête quelquefois aux intrigues galantes des grands seigneurs et des grandes dames, afin de les attirer chez elles. Il n’y a point d’ennemi de Mme Geoffrin qui ne convienne de la fausseté de cette imputation. Je m’étais toujours bien douté que cet abbé comte de Guasco, avec ses yeux bordés de rouge à la façon des dindons, était dans plus d’un sens un vilain homme. Rien n’empêche de le soupçonner d’avoir falsifié les lettres du président au sujet de cette aventure. Un homme qui peut s’avilir jusqu’à mettre d’indignes faussetés sur le compte d’une personne dont il croit avoir à se plaindre peut bien avoir altéré quelques passages dans les lettres du président. Ce que je sais, c’est que j’ai vu le président chez Mme Geoffrin peu de jours avant la maladie qui le mit au tombeau. Il y a apparence que s’il a voulu se brouiller avec elle parce qu’elle avait fermé sa porte au chanoine de Tournai, elle lui en a donné de si bonnes raisons que le président n’a pu se dispenser d’être de son avis.