Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
420
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

analogues aux circonstances. Les réponses honorables qu’il reçoit successivement font un singulier contraste avec les turpitudes des cuistres Riballier et Cogé, et peuvent même le consoler de ce qui a manqué au succès de son livre a Paris.

On a vu dans le public des copies d’une lettre de M. de Voltaire a M. le prince Galitzin, ministre plénipotentiaire de Russie à la cour de France. Cette lettre est encore une pièce du procès de Bélisaire qu’il faut conserver ici :

« Je vois, par les lettres dont Sa Majesté impériale et Votre Excellence m’honorent, combien votre nation s’élève, et je crains que la nôtre ne commence à dégénérer à quelques égards. L’Impératrice daigne traduire elle-même le chapitre de Bélisaire, que quelques hommes de collège calomnient à Paris. Nous serions couverts d’opprobre si tous les honnêtes gens, dont le nombre est très-grand en France, ne s’élevaient pas hautement contre ces turpitudes pédantesques. Il y aura toujours de l’ignorance, de la sottise et de l’envie dans ma patrie ; mais il y aura toujours aussi de la science et du bon goût. J’ose vous dire même qu’en général nos principaux militaires, et ce qui compose le conseil, les conseillers d’État et les maîtres des requêtes, sont plus éclairés qu’ils ne l’étaient dans le beau siècle de Louis XIV. Les grands talents sont rares, mais la science et la raison sont communes. Je vois avec plaisir qu’il se forme en Europe une république immense d’esprits cultivés ; la lumière se communique de tous côtés. Il me vient souvent du Nord des choses qui m’étonnent. Il s’est fait, depuis environ quinze ans, une révolution dans les esprits qui sera une grande époque. Les cris des pédants annoncent ce grand changement, comme les croassements des corbeaux annoncent le beau temps.

« Je ne connais point le livre[1] dont vous me faites l’honneur de me parler. J’ai bien de la peine à croire que l’auteur, en évitant les fautes où peut être tombé M. de Montesquieu, soit au-dessus de lui dans les endroits où ce brillant génie a raison. Je ferai venir son livre, et, en attendant, je félicite l’auteur d’être auprès d’une souveraine qui favorise tous les talents étrangers et qui en fait naître dans ses États. Mais

  1. L’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, par Le Mercier de La Rivière. Londres, J. Nourse (Paris, Desaint), 1767, in-4° ou 2 vol. in-12.