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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

qui se sont intéressées à leur cause. Je ne sais pourquoi l’auteur a oublié la part que l’Angleterre y a prise.

M. Le Fèvre vient de faire imprimer sa tragédie de Cosroès ; qui a eu jusqu’à dix représentations. Le cinquième acte étant absolument tombé à la première, l’auteur a fait interrompre le cours des représentations pendant huit jours, et a employé cet intervalle à refaire entièrement son cinquième acte. Il a mis en action tout ce qui était en récit, et ce changement ayant réussi, la pièce a eu le succès passager dont je viens de parler. On a dit qu’il y avait de la facilité à refaire un acte entier en si peu de temps. Je le veux bien ; mais cette facilité, quand elle se trouve réunie à la médiocrité, est bien fâcheuse pour le public. L’auteur regrette, dans sa préface, ce satrape qui venait de donner une leçon de justice à Cosroès, et qu’il a été obligé de sacrifier. Je vois, par ce qu’il en dit, que son projet était que ce satrape frappât son fils, et peut-être qu’il se frappât lui-même après avoir poignardé son fils. En ce cas, la tête a tourné à l’acteur chargé de ce rôle à la première représentation, car il s’est frappé sans frapper son fils. Il est vrai que le parterre avait bien mal accueilli et le père et le fils. J’apprends que M. Le Fèvre est un élève échappé de l’Académie de peinture[1]. Ses essais n’ayant pu lui mériter une place parmi les pensionnaires qu’on envoie à Rome aux dépens du roi, il a brisé ses crayons et ses pinceaux, et s’est jeté dans la poésie ; il aurait du embrasser un état moins glorieux et plus solide.

— Le jour de Saint-Louis a été marqué cette année par un évènement bien sinistre. M. Schobert, connu des amateurs de la musique comme un des meilleurs clavecinistes de Paris, avait arrangé une partie de plaisir avec sa femme, un de ses enfants de quatre à cinq ans, et quelques amis, parmi lesquels il y avait un médecin. Ils étaient au nombre de sept, et allèrent se promener dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Schobert

  1. Il était élève de Doyen. Collé (Journal, M. Bonhomme, t. III, p. 166) cite un joli mot de ce peintre à qui Le Fèvre avait montré une lettre très-flatteuse de Voltaire : « Cet homme vous flatte et vous trompe, lui dit-il, ainsi que tous les jeunes auteurs qui le consultent sur leurs ouvrages. M. de Voltaire est un racoleur qui, par ses éloges, vous promet trente sous par jour jusqu’au régiment, et qui ne vous dit pas qu’après vous n’aurez que cinq sous. »