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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

de Conti, qui fait une perte qui ne sera pas aisée à réparer.

— On a célébré, le 3 de ce mois, un service dans l’église cathédrale de Paris, pour le repos de l’âme de Mme la Dauphine[1]. M. de Boisgelin de Cucé, évêque de Lavaur, a prononcé l’oraison funèbre de cette princesse. Cette oraison funébre vient d’être imprimée. On y voit comment la religion dans les plus cruelles adversités a pu seule soutenir Mme la Dauphine, qui cependant est morte de chagrin. Le courage et la Constance surnaturels de cette princesse sont l’ouvrage et le triomphe de la religion, et ce triomphe qu’elle remporte sur sa douleur lui coûte cependant la vie. Ma foi, je suis las de lire de semblables galimatias, et c’est nous prendre pour des grues que de vouloir nous persuader qu’il faut du mérite pour composer de pareils morceaux d’éloquence. Ces morceaux sont au contraire le tombeau de la véritable éloquence. Le mal est que tous ces saints prélats ne croient pas un mot de ce qu’ils débitent dans la chaire de la vérité, et cela donne à leur verbiage un air stérile et un défaut de sentiment qui sont choquants. On dit que notre jeune prélat a de l’esprit et du mérite, et cela est vrai, mais je le plains d’être obligé de parler tout le long de l’année contre le cri de la conscience et contre sa conviction intérieure. Il doit être affreux pour une âme droite et honnête de se mentir à soi et aux autres toute sa vie, et il est impossible que cette fatale nécessité n’influe à la longue sur le caractère moral. La première partie de cette oraison funèbre m’a paru pitoyable ; c’est Mme la Dauphine préparée par la prospérité à l’adversité. Nous y lisons, ô Providence ! qu’il fut un temps de vertige et d’erreur ou l’Allemagne, frappée par Luther, enfanta de tous côtés la discorde et le schisme, ou les princes de Saxe abjurèrent les premiers le culte antique embrassé par Witikind. « Quelle lumière, s’écrie l’orateur, ou quel miracle a tout à coup éclairé les princes, malgré l’aveuglement dont les peuples restent frappés ? » Je supplie M. l’évêque de Lavaur de se rappeler les circonstances de la conversion de Witikind et de frémir, et de se souvenir ensuite du miracle qui a rendu Auguste II catholique, et de se

  1. Marie-Josephe de Saxe, fille de Frédéric-Auguste II, électeur de Saxe, et de Marie-Josfephe d’Autriche, veuve du Dauphin mort en 1765, et mère de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.