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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

prendre sa source que dans le cœur d’honnêtes gens, de bons citoyens ; mais je voudrais que ces messieurs fussent aussi éclairés qu’ils sont bien intentionnés. Je voudrais que leurs idées ne fussent pas si brouillées, qu’au lieu d’idées ils ne nous payassent pas si souvent de mots qui ne signifient rien, et qu’ils voulussent ou pussent penser, avant d’écrire et de nous endoctriner. À cette condition je leur pardonnerais volontiers l’air et le ton capables qu’ils affectent ; je leur pardonnerais même, quoi qu’il put m’en coûter, un style presque toujours barbare et apocalyptique, et je me résoudrais peut-être à lire exactement les Éphèmérides du citoyen, ouvrage périodique où ils déposent leur pensée pour le bonheur de la race actuelle et de la postérité. Mais j’avoue que je suis fâché, quand j’ai vaincu mon dégoût pour un style plein de dureté, d’âpreté et de solécismes, quand je me suis creusé la tête pour trouver un sens à des expressions obscures, louches et hétéroclites qui n’en ont point, je suis fâché, dis-je, de ne trouver au bout d’une longue et pénible lecture autre chose qu’un lieu commun, que je savais depuis longtemps, emphatiquement étalé et souvent exagéré au delà de ses véritables bornes, ou bien un mot sans idée et un principe vide de sens. Alors l’humeur me saisit, et dans ma colère, si j’en avais le pouvoir, je ne sais si je ne ferais pas un beau jour enlever tout le mardi de M. de Mirabeau avec ses bêches, pioches et charrues, et le transporter dans les landes de Bordeaux ou dans quelque autre terrain ingrat pour lui apprendre a défricher autrement qu’à coups de langue ou de plume.

Je me souviens d’avoir lu un ouvrage tout entier de ces messieurs, qui n’était assurément pas agréable à lire, et où je n’ai jamais pu comprendre autre chose sinon que la grande culture demandait de grosses avances et rendait de gros profits, tandis que la petite culture n’exigeait que de petites avances, et ne donnait aussi que de petits profits. Je crois que, Dieu me pardonne, sans avoir l’honneur d’être économiste affilié, j’aurais découvert cette importante verité à moi tout seul, si l’on m’avait interrogé. Voilà le lieu commun ; en voici l’exagération. C’est que ces messieurs ne veulent point de petite culture qui se fait par les bœufs, et qu’ils établissent partout les grandes charrues et les chevaux. En vain leur objecte-t-on qu’une terre légère ne doit pas être cultivée comme une terre forte, qu’un mauvais