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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

enlever toute la bonne terre de ce pays pour en couvrir les plaines sablonneuses du Brandebourg. « C’est, me dit M. de Mirabeau sérieusement, que ce prince n’entend rien aux principes de l’économie rurale. »

Ces idées creuses que ces messieurs nous donnent pour profondeur ne sont pas les seuls griefs que j’aie contre le respectable mardi des économistes ruraux assemblés chez l’Ami des hommes. J’ai des reproches plus graves à leur faire.

Premièrement, ils ont un langage apocalyptique et dévot. Ils voudraient faire de l’agriculture une science mystique et d’institution divine, et ils joueraient volontiers le rôle de théologiens dans cette partie. Le mardi de M. de Mirabeau deviendrait ainsi la Sorbonne du labourage, et les membres de cette Sorbonne s’opposeraient, autant qu’il dépendrait d’eux, aux progrès de la philosophie. M. de Mirabeau a poussé cette pauvreté jusqu’à se faire avocat des moines. Il tire son apologie de ce que les champs des moines et des ecclésiastiques sont pour la plupart mieux cultivés que les champs des laïques, et ne considère pas que ces derniers sont hors d’état de bien cultiver leurs champs précisément parce que les premiers sont en état de si bien cultiver les leurs. Tous les impôts, toutes les charges, sont pour le peuple, tandis que toutes les immunités, tous les profits, sont pour les biens de l’Église. Je sais que les économistes n’ont plus osé insister depuis sur la nécessité et l’utilité des moines ; mais ils ont en général une pente à la dévotion et à la platitude bien contraire à l’esprit philosophique qui se répand de toutes parts en Europe, et mon avis est que préalablement et sans nouvelle preuve de zèle ils reçoivent tous la première tonsure des mains du barbier de l’Archevêché.

En second lieu, ils se sont tous faits prôneurs et fauteurs de l’autorité despotique, et plusieurs d’entre eux ont poussé l’absurdité au point d’avancer que toute constitution de gouvernement, hors la monarchique, est essentiellement vicieuse. Il est vrai qu’ils établissent un despotisme légal, et qu’ils lui donnent pour guide l’évidence, de sorte que l’autorité qui a un pouvoir illimité ne peut cependant rien faire qui ne soit conforme au vœu de la loi, et que l’évidence du bien règle toutes ses opérations ; mais s’il y a quelque chose d’évident dans ce bavardage, c’est que ces messieurs nous prennent pour des