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OCTOBRE 1767.

— Malgré les bombes qu’on a fait pleuvoir sur la vieille masure de la Sorbonne, et qui auraient du aiguillonner le zèle et le courage de ses défenseurs, il devient aujourd’hui très-problématique que cette illustre carcasse veuille publier la censure de Bélisaire et il se pourrait très-bien que le travail du R. P. Bonhomme, cordelier de la grande manche, et le feu soutenu du syndic Riballier, fussent perdus pour l’édification publique. La plupart des graves docteurs rient sous cape des étrivières que la discipline de Ferney a si nerveusement appliquées sur les épaules du brave Riballier : tant le zèle dévorant de la maison du Seigneur diminue parmi nous, dans ces jours de tiédeur et d’indifférence ! Des personnes instruites prétendent que la Sorbonne sollicite actuellement un ordre de la cour, ou à son défaut un ordre de son proviseur, M. l’archevêque de Paris, qui lui défende de publier sa censure ; mais ni le proviseur ni le gouvernement ne se soucient de gêner la sacrée Faculté par un ordre exprès dans l’exercice du droit incontestable qui lui est acquis de temps immémorial de se rendre ridicule et méprisable. On dit seulement que M. l’archevêque de Paris a jeté au feu le mandement qu’il avait préparé contre Bélisaire.

Dans le fait, le bonhomme Bélisaire a de grandes obligations à la Sorbonne d’avoir bien voulu se couvrir de ridicule à son égard. Sans cette circonstance, son succès à Paris n’aurait pas été fort solide, et il serait actuellement oublié. Mais les pamphlets et les coups d’étrivières partis de Ferney ont tenu les yeux du public ouverts sur cette production, qu’il avait d’abord assez froidement accueillie ; et le suffrage dont divers princes et têtes couronnées l’ont honoré à rendu ce livre agréable à la nation. On a lu avec admiration les lettres de l’Impératrice de Russie et du roi de Pologne, ainsi que la lettre charmante du prince royal de Suède. La reine de Suède a accompagné la sienne du don d’une boîte superbe dans les cartouches de laquelle on voit les principaux tableaux de Bélisaire exécutés en émail. C’est joindre la plus ingénieuse galanterie à la magnificence royale.

Mais si M. Marmontel est quitte du mandement de l’archevêque et de la censure de la Sorbonne, il n’a pas été assez heureux pour esquiver le coup de dent du vieux Piron. Ce poëte octogénaire, tout aveugle et dévot qu’il est, n’a pas oublié l’art