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OCTOBRE 1767.

mesure de la richesse publique, et soutenir de l’autre que l’industrie n’est jamais productive, tandis qu’elle augmente évidemment la consommation, dire que l’argent n’est rien du tout, que la balance du commerce est une pure chimère, au lieu de prouver, comme je le crois aisé, que tous les peuples ont pris jusqu’à présent de faux moyens pour fixer cette balance chacun à son avantage, c’est, ce me semble, avancer avec confiance d’assez grandes extravagances.

Les bornes de ces feuilles ne me permettent pas de m’étendre davantage. Tout ce tas de sophismes se réduit pour le produit brut au mot évidence, aux formules physiquement impossible, physiquement nécessaire, et pour le produit net à zéro. Malgré notre manie de nous occuper de tous ces grands objets, il faut convenir qu’on a écrit jusqu’à présent bien peu de choses satisfaisantes sur la science du gouvernement. C’est que les bons esprits sont rares, et que les bavards gâtent tout. Je ne mets point en doute qu’un bon esprit, en partant du principe de M. de La Rivière, et établissant le droit de propriété comme un droit sacré et illimité dans son exercice, et comme le fondement et l’origine de toute société politique, n’eût pu faire un bon ouvrage ; mais il aurait cherché à assurer le fondement contre la force des passions et des opinions qui de toute éternité ont tout fait et continueront à tout faire parmi les hommes. Je ne crois pas que les mots passion et opinion se trouvent une seule fois dans le livre de l’Ordre essentiel des sociétés politiques ; je ne crois pas qu’il soit arrivé à l’auteur de citer un seul trait d’histoire dans tout le cours de ses rêveries. Cela seul prouve ce qu’il faut penser de son ouvrage.

M. de La Rivière ayant désiré de faire sa cour à l’Impératrice de Russie, Sa Majesté Impériale lui en a accordé la permission, sur le compte avantageux qui lui a été rendu de sa personne et de ses lumières ; elle lui a même fait payer douze mille livres pour les frais du voyage. L’économiste s’est mis en route huit jours après la publication de son ouvrage, et a ainsi sagement évité le spectacle de sa chute. Il a emmené avec lui sa femme et sa maîtresse dans la même voiture. Cette dernière est une petite chanteuse du concert de la reine, qui ne fera pas fortune en Russie par sa manière de chanter. M. de La Rivière ressemble au bonhomme Abraham, voyageant entre Sara et Agar ; mais le