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OCTOBRE 1767.

ment droit au partage. J’ai déjà remarqué que le profit du produit net pour le lecteur est égal à zéro, celui de la gloire pour les auteurs est pareillement égal à zéro : ainsi ce partage ne leur prendra pas beaucoup de temps, et ne sera pas sujet à discussion.

Je hais les bavards, et malheureusement M. l’abbé Baudeau a prouvé, en ses soixante-dix pages, sa vocation incontestable au métier de bavard et de diseur de mots. Il veut réduire tout le droit naturel et tout le droit des gens à cette loi unique que chacun se fasse le meilleur sort possible, sans attenter aux propriétés d’autrui. Il appelle cela une règle primitive du droit naturel. Il prétend qu’avant toute agrégation et toute convention. — cela veut dire avant toute réunion en société ; mais il faut parler le style de ces messieurs, — avant toute agrégation donc, la loi naturelle était attributive du droit de jouir de ses propriétés, prohibitive de l’usurpation des propriétés d’autrui. Et pour prouver cette assertion, il appelle monstres tous ceux qui refuseront de l’admettre. J’avoue que je suis un de ces monstres-là, quoique dans le fond je me tienne pour aussi honnête homme au moins que le prémontré exposant la loi naturelle. Celle qu’il donne pour telle, qu’il regarde comme fondamentale, qu’il prétend avoir existé avant la société, l’est si peu, que les hommes ne se sont réunis en société que par la nécessité de la faire observer, cette loi. Voulez-vous savoir ce que c’est qu’une loi naturelle ? En voici une : Tu ne mettras pas ton doigt dans la mèche d’une chandelle allumé. Et savez-vous pourquoi c’est là une loi naturelle ? C’est que s’il vous prend fantaisie d’y manquer, vous vous brûlerez le doigt, et que cela vous fera mal, et que vous n’aimez pas le mal. Aussi je ne crois pas qu’aucun enfant ait fait plus d’une expérience pour chercher à enfreindre cette loi. Toute loi qui n’a pas sa sanction avec elle ne mérite pas ce nom, surtout, dans le code de droit naturel.

Il n’y a rien de juste ni d’injuste sous le ciel, quoique M. de La Rivière dise sans cesse : Ceci est d’une justice absolue, et cela d’une injustice absolue. Le terme juste est par son essence relatif, et suppose nécessairement un rapport. La justice ne peut exister qu’entre êtres de la même espèce. Et quel est son fondement ? L’égalité du sort, l’incertitude de sa chance : voilà le véritable fondement de toute morale et de toute justice. Le mal-