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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

494 CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE. vérités. Étrange manière de se faire aimer d’une femme hautaine et orgueilleuse ! Il est un peu embarrassé du début ; mais ayant porté sans dessein sa main sur le métier, Lisette fait un cri d’effroi, et l’avertit que Zélie ne peut pas souffrir qu’on touche à son métier. Melcour est enchanté de cette découverte, et le voilà qui se place au métier, et qui se met à y travailler lorsque Zélie entre.

Zélie lui reproche l’audace de toucher à son métier ; Melcour s’en moque. Zélie se met en colère ; Melcour la raille. Elle veut prendre sa place pour travailler ; Melcour dit qu’elle n’a qu’à se mettre vis-à-vis de lui. Elle réussit enfin à escamoter à Melcour la place qu’il occupe ; alors Melcour prend l’autre vis-à-vis d’elle. Zélie repousse le métier. Melcour consent de n’y plus travailler, et se met à genoux pour lui dire des galanteries. Zélie reprend le métier, se fâche. Plus elle devient furieuse, plus l’autre devient insolent. Il lui fait l’énumération de tous ses défauts, il l’assure que malgré sa beauté elle restera fille toute sa vie ; et après lui avoir dit son fait, il se retire et la laisse stupéfaite.

Cette scène, qui est la plus impertinente platitude que j’aie jamais vue, Molé l’a cependant fait, non réussir, mais applaudir par la vivacité et la gentillesse avec laquelle il l’a jouée. Ce pauvre Molé est condamné au métier par les poëtes modernes. L’auteur des Deux Sœurs a visiblement pillé ici la petite comédie du Cercle ; on est bien pauvre quand on est réduit à voler ses haillons dans la boutique du fripier Poinsinet.

Zélie étant ainsi tombée subitement amoureuse de Melcour, et à peine encore remise de toutes ses politesses, entend le bruit des chevaux dans la cour. On ne lui cache pas que c’est Melcour qui s’apprête à quitter le château sur-le-champ. Alors la crainte de perdre Melcour pour toujours donne à sa passion naissante une nuance d’humeur et de maussaderie que le parterre n’a pas trouvée aussi piquante que l’auteur l’aurait désiré. Elle prétend que ce départ précipité est choquant, que Melcour manque à son père. Elle court dans le cabinet de son père pour lui faire sentir qu’il ne doit pas souffrir ce départ, et qu’il faut qu’il s’y oppose de toutes ses forces ; mais M. le baron, qui est dans le secret de Melcour, s’est enfermé malicieusement dans son cabinet. Il a défendu que personne n’entre chez lui ; il fait sans