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DÉCEMBRE 1767.

doute sa méridienne. Zélie revient nous faire part de ce fâcheux contre-temps. Elle est réduite à s’opposer de son chef au départ de Melcour, ou à le voir partir avant qu’elle ait pu prévenir son père. Au milieu du combat que sa passion livre à sa fierté, Melcour s’offre à sa vue ; mais ce n’est plus ce petit-maître étourdi et impertinent, c’est l’amant le plus passionné et le plus respectueux, qui va s’éloigner dans le moment et pour jamais, puisqu’il n’a pu toucher son cœur. Zélie n’a pas le temps de balancer, car le valet de chambre de Melcour paraît en courrier, fait claquer son fouet, et dit que le postillon s’impatiente. Oh ! ma foi, Zélie ne soutient pas ce coup de fouet ; c’est pour elle un coup de foudre. Sa fierté s’éteint ; elle avoue à Melcour sa passion. On fait ôter les chevaux. M. le baron se montre au comble de la joie du succès de ce beau stratagème. Lucile et Fernand surviennent. Rien ne s’oppose plus à leur bonheur, puisque Zélie va être mariée. M. le baron, en bon père, arrange le double mariage des deux sœurs avec les deux amis de province, au milieu des huées du parterre qui reconduisent M. le baron et sa triste famille jusque dans l’arrière-cabinet du château situé sur la route de la province à Paris, pour, s’il le juge à propos, aller faire noce et festin sur le boulevard, chez M. Nicolet.

Le vice radical des Deux Sœurs, c’est une platitude des plus exquises. Or, il n’y a point d’assemblée en Europe, je crois, qui ait sur ce point le tact le plus juste, plus fin, plus prompt que notre parterre ; et comme les platitudes se succédaient, se poussaient, se heurtaient avec une extrême rapidité, les huées et les éclats de rire se succédaient et redoublaient de même. À un peu d’ennui près, cette chute a été des plus amusantes.

L’auteur ne s’est point fait connaître, et après l’accueil qu’il a reçu, il ne tentera pas de déchirer le voile de l’incognito. On a soupçonné un moment M. de Carmontelle. On a dit que la comédie des Deux Sœurs était le proverbe : Il ne faut pas bouder contre son ventre, ou bien le proverbe : Faites-vous agneau, le loup vous mange, mis au théâtre. Or, l’ami Carmontelle est grand faiseur et joueur de proverbes ; et une femme qui a beaucoup de finesse dans l’esprit m’avait prouvé clair comme le jour, sur quelques détails que je lui rapportais de la pièce les Deux Sœurs, qu’elle ressemblait parfaitement aux pièces de M. de Carmontelle. Elle n’est pourtant pas de lui, et cela