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DÉCEMBRE 1767.

pour avoir approuvé Bélisaire ; il est bien dur de tomber aussi lourdement au milieu d’une assemblée nationale.

Je ne conçois pas les Comédiens. Ils se plaignent tout le long de l’année de la solitude de leur théâtre, et font tout ce qu’ils peuvent pour en éloigner et dégoûter le public. Ils jouent les Deux Sœurs, et s’y font siffler outrageusement, et ils ont depuis près de deux ans une petite pièce charmante de M. Sedaine, intitulée la Gageure, qu’ils n’ont pu encore trouver le moment de mettre sur la scène. Ils retardent ainsi le seul homme qui ait montré du génie et du talent pour la carrière dramatique en ces derniers temps, lorsque dans leur propre intérêt ils ne devraient rien négliger pour l’encourager et l’exciter au travail. Que le diable les emporte, eux et leurs supérieurs ! Puisqu’ils ont fait de leur tripot un antre d’intrigues et de tracasseries, ils réussiront à ruiner le véritable théâtre de la nation de fond en comble.

Mlle Dugazon a débuté sur ce théâtre dans les rôles de soubrette. Cette actrice peut dire Nigra sum, sed non formosa, je suis noire sans être jolie. Elle a cependant de la grâce dans sa taille et dans toute sa figure, les yeux noirs et vifs, mais le nez un peu long et plat, et la bouche honnêtement grande. Cette débutante a réussi. Elle a de la vivacité, de l’esprit et beaucoup d’aisance dans son jeu ; et elle est plus formée que ne le sont ordinairement les actrices qui débutent. Je l’aimerais cent fois mieux que cette lourde, grosse et impudique Bellecour, qui a tramé avec son faquin de mari de me bannir de la Comédie-Française à perpétuité. Cependant je voudrais qu’au talent d’acteur et d’actrice on joignit les agréments de la figure, et qu’il fût défendu aux personnes laides de monter sur le théâtre. Quant à l’emploi de soubrette, il y faut plus d’esprit que de naturel. Nos soubrettes de théâtre sont des personnages factices qui n’ont point de modèle dans nos mœurs. Elles font très-bien de se montrer en habit de cour, sur des paniers immenses, avec un petit tablier de gaze artistement découpé ; elles en sont plus fausses et plus ridicules. On dit que Mlle Dugazon vient de Stuttgard, qu’elle n’a débuté ici que pour augmenter sa réputation par ses succès sur le théâtre de Paris, et qu’après avoir recueilli nos applaudissements elle compte s’en retourner en Allemagne.