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DÉCEMBRE 1767.

rang souverain devaient jouir de ce privilège, et l’on a jugé l’auteur de Bélisaire plus indiscret et plus téméraire que le syndic de la Sorbonne. Il me semble en effet qu’il y avait bien plus de véritable satisfaction à garder ces lettres dans sa poche que d’en faire des effets de colporteur. Mais si l’on a trouvé la démarche de M. Marmontel indiscrète, on n’en a pas moins joui des lettres qu’elle nous a procurées, et l’on a regardé comme un heureux présage pour la félicité du genre humain la manière dont ceux à qui sa destinée est confiée s’expriment sur des objets si intéressants pour les hommes. La lettre du prince royal de Suède a attendri et enchanté tout le monde. On s’est en revanche un peu moqué de la lettre de M. Van Swieten fils, qui veut nous faire accroire que la cour de Vienne a un goût décidé pour la philosophie, tandis que personne n’ignore que, dans ce pays-là, l’inquisition contre le péché de la lecture et contre celui de la chair est exercée avec la dernière rigueur, et qu’un Esprit des lois ou un tome de Voltaire n’a jamais pu franchir la barrière de Vienne. Mais M. Van Swieten fils a voulu disculper M. Van Swieten père ; c’est le projet de toute la partie de sa lettre qui n’a pas été imprimée. On sait que M. Van Swieten père est non-seulement premier médecin, mais aussi grand inquisiteur de l’impératrice-reine apostolique, et qu’en cette qualité il préside à la police de la librairie. M. de Voltaire, qui sait comment il s’acquitte de cette commission, en a fait sous des noms orientaux un récit très-fidèle et très-piquant dans un de ses derniers volumes de Mélanges. Le médecin hypocrite en a été fort touché, et il a chargé son fils de se plaindre de cette prétendue calomnie, et quand celui-ci dit à M. Marmontel : Il vous est libre de faire du contenu de cette lettre l’usage qu’il vous plaira, cela veut dire : J’espère que vous la communiquerez à M. de Voltaire en réponse à son conte oriental. Mais nous savons à quoi nous en tenir sur la probité de M. Van Swieten et sur son amour pour le progrès des lumières, et nous conseillons à son fils de faire de la musique au lieu d’écrire des lettres philosophiques. On lisait cette lettre ces jours passés dans un cercle, et l’on s’arrêta à l’endroit où M. Van Swieten espère que les épaisses forêts de l’ignorance seront éclaircies par le travail constant de la philosophie : « Voilà donc, dit Mme de Buffon, nos philosophes devenus