Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
504
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

bûcherons ! Est-ce pour cela que ces messieurs nous débitent tant de fagots ? » Tout le monde, excepté Marmontel, se mit à rire. « Et voilà, dit un de ces bûcherons, pourquoi le Parlement les fait allumer de temps en temps au bas de l’escalier du Mai. Mais souvenez-vous, madame, dit un autre, qu’il y a fagots et fagots. »

M. le marquis de Villette a aussi travaillé pour le prix d’éloquence que l’Académie française a donné cette année. Il vient de publier son Éloge du roi Charles V, surnommé le Sage. Il l’a fait imprimer magnifiquement in-4°, orner de vignettes et d’estampes, et principalement du portrait de son héros. L’auteur a dédié son ouvrage à M. de Voltaire, qui a du faible pour lui. Il prétend que son éloge n’a pas été soumis au jugement de l’Académie parce qu’il n’a pas voulu croiser M. de La Harpe ; c’est supposer qu’il aurait pu lui disputer le prix avec succès. Dans son épître à M. de Voltaire, M. de Villette se moque un peu de M. Thomas. Il nous avoue aussi que c’est principalement l’ennui qui lui a mis la plume à la main, suivant l’expression favorite de M. le neveu Bazin ; mais l’ennui ne fait pas faire de belles choses, comme M. de Villette le prouve par l’amplification de rhétorique qu’il a publiée sous le titre d’Éloge de Charles V.

Tout considéré, et puisque le sujet traité par ordre de l’Académie m’a un peu ramené vers ce Charles le Sage et son triste siècle, je pense que l’Académie a fait une chose assez ridicule et assez déplacée en ordonnant l’éloge de ce roi. Quelle sinistre et triste sagesse que la sienne ! Quel horrible siècle de meurtres, de crimes et de trahisons ! Un roi cacochyme, chef d’une nation barbare et plus détestable qu’une horde de sauvages, doit-il être proposé comme un modèle de sagesse à une nation polie et éclairée au milieu du xviiie siècle, tandis que les Trajans et les Antonins sont traités comme des gueux par les cuistres de la Sorbonne ? Ma foi, c’est se moquer de nous ; et peu s’en faut que je ne trouve l’Académie française digne de partager le gâteau de réputation qui revient à la Sorbonne de tous les coins de l’Europe. J’ai surtout remarqué avec beaucoup d’édification la manière dont les orateurs concourant pour le prix ont traité l’assassinat du prévôt des marchands Marcel. La plupart en ont fait une action patriotique ; les autres n’ont