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profits de cette immense entreprise est sorti de la Bastille au bout de huit jours de prison. Cette Encyclopédie, malgré toutes les traverses qu’elle a essuyées, ou plutôt par la célébrité que ces persécutions lui ont attirée, aura produit un profit de quelque cent mille écus à chacun des entrepreneurs. Aussi les libraires n’aiment rien tant que les livres dont les auteurs sont harcelés : la fortune est au bout. Mais si l’Encyclopédie à enrichi trois ou quatre libraires, ceux-ci n’ont pas cru devoir enrichir les auteurs de ce fameux dictionnaire. On sait que M. Diderot, sans les bienfaits de l’impératrice de Russie, aurait été obligé de se défaire de sa bibliothèque. M.  le chevalier de Jaucourt, qui, après M.  Diderot, a le plus contribué à mettre fin à cet ouvrage immense, non-seulement n’en a jamais tiré aucune récompense, mais s’est trouvé dans le cas de vendre une maison qu’il avait dans Paris afin de pouvoir payer le salaire de trois ou quatre secrétaires, employés sans relâche depuis plus de dix ans. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que c’est l’imprimeur Le Breton qui a acheté cette maison avec l’argent que le travail du chevalier de Jaucourt l’a mis à portée de gagner. Aussi ce Le Breton trouve que le chevalier de Jaucourt est un bien honnête homme. Je ne connais guère de race plus franchement malhonnête que celle des libraires de Paris. En Angleterre, l’Encyclopédie aurait fait la fortune des auteurs ; ici, elle a enrichi des libraires sans sentiment et sans justice, et qui s’estiment de très-honnêtes gens parce qu’ils n’ont pas pris de l’argent dans la poche des auteurs.

— On a imprimé en Hollande avec assez d’élégance la Lettre de Trasybule à Leucippe. Cet ouvrage se trouvait depuis nombre d’années dans le portefeuille des curieux en manuscrit. Il est de M.  Fréret, en son vivant secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres[1]. Cette lettre tend à prouver l’imposture et la fausseté des cultes prétendus révélés ; Fréret l’avait écrite pour rassurer sa sœur contre les terreurs religieuses. Il y règne une grande franchise et une grande naïveté. Je me souviens de l’avoir lue anciennement dans un manuscrit d’une assez mauvaise écriture, et de l’avoir

  1. Cette Lettre est en effet, le seul des ouvrages de polémique religieuse attribués à Fréret qui soit réellement de lui ; mais elle a été retouchée par Naigeon, lorsqu’il l’a réimprimée dans l’Encyclopédie méthodique.