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de l’agriculture. Tout ce qu’on peut dire de plus certain, c’est que M.  l’abbé Poncelet de Paris[1] et M.  Robinet d’Amsterdam[2] écrivent sur la nature d’une manière très-différente[3].

— Le musicien Rameau a laissé, outre ses propres enfants, un neveu qui a toujours passé pour une espèce de fou. Il est une sorte d’imagination bête et dépourvue d’esprit, mais qui, combinée avec la chaleur, produit quelquefois des idées neuves et singulières. Le mal est que le possesseur de cette espèce d’imagination rencontre plus souvent mal que bien, et qu’il ne sait pas quand il a bien rencontré. Rameau le neveu est un homme de génie de cette classe, c’est-à-dire un fou quelquefois amusant, mais la plupart du temps fatigant et insupportable. Ce qu’il y a de pis, c’est que Rameau le fou meurt de faim, comme il [sic] par une production de sa muse qui vient de paraître. C’est un poëme en cinq chants, intitulé la Raméide. Heureusement ces cinq chants ne tiennent pas trente pages in-12. C’est le plus étrange et le plus ridicule galimatias qu’on puisse lire[4].

  1. Grimm eût dû dire de Verdun ; car l’abbé Poncelet était né dans cette ville. (T.)
  2. Auteur de l’ouvrage intitulé De la Nature, dont Grimm a précédemment rendu compte.
  3. On peut remarquer que toutes les fois que Grimm veut juger un ouvrage sans le lire, il se tire d’affaire par une assez mauvaise allusion au nom de l’auteur, à sa qualité, à son pays, à la matière qu’il traite, ou à quelque autre cause capable d’exciter le sourire, mais peu faite pour contenter la raison : c’est ce qui arrive ici relativement à M.  l’abbé Poncelet, auteur peu connu d’ouvrages utiles. Polycarpe Poncelet, né à Verdun, après avoir publié la Chimie du goût et de l’odorat, donna en 1766 la Nature dans la formation du tonnerre et la reproduction des êtres vivants, pour servir d’introduction aux vrais principes ce l’agriculture, 1 vol. in-8o en deux parties, ouvrage rempli d’observations curieuses et d’ingénieuses recherches. Il s’appliqua à connaître tout ce qui concerne le froment, le plus utile des végétaux dont la surface du globe est couverte. Lorsqu’il eut pris cette résolution, il renonça pour un temps au commerce des hommes, et se retira dans une solitude où, inconnu, ignoré de l’univers entier, jouissant d’une santé parfaite, avide de connaissances, seul, absolument seul, sans compagnon, sans domestique, sans témoin, il a labouré la terre, semé, moissonné, moulu, fait du pain, sans engrais, sans charrue, sans moulin, sans four, en un mot sans autres ustensiles que ceux qu’une imagination industrieuse, excitée par la nécessité des circonstances et guidée par la raison, lui faisait inventer. (B.)
  4. M.  G. Isambert, dans la préface de son édition du Neveu de Rameau (G. Decaux, s. d. [1877], in-32), a donné quelques détails bibliographiques sur ce « poëme » introuvable, déjà signalé par M.  Assézat. La Nouvelle Raméide de Cazotte parut la même année. Voir la lettre du 15 septembre suivant.