Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/76

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d’un couvent de bénédictins entre les mains d’un seigneur ; voilà tout l’argent qui se dépensait à trois ou quatre lieues à la ronde qui prendra sa direction vers le torrent qui entraîne tout à Paris ou à quelque grande ville de second ordre. Voilà les pauvres valides du canton sans ouvrage, les pauvres infirmes sans secours ; voilà donc les fermiers, considérés dans le canton depuis plusieurs générations qu’ils vivaient honorablement dans la même ferme, chassés par un aventurier qui compte regagner l’augmentation qu’il donne, en épuisant la terre qu’il sait très-bien qu’il ne gardera pas longtemps. Il vient une mauvaise année : les moines auraient attendu, mais M. le duc part pour son ambassade, M.  le marquis va rejoindre son régiment à l’armée d’Allemagne, M.  le président doit vingt mille écus à son sellier, à son marchand de chevaux. Il faut absolument de l’argent. Le fermier s’endette, se ruine, la ferme se discrédite, une partie des terres reste en friche, le reste s’amaigrit, un pan de la grange s’écroule faute d’entretien, et ce beau bien auquel on portait envie fait pitié.

Une chose que j’ai souvent entendu dire contre les moines fait beaucoup pour eux à mes yeux. Ces drôles-là ont, dit-on, le quart des biens du royaume, et le plus beau ! Mais il n’est le plus beau que parce qu’ils l’ont rendu tel, et s’il est vrai que, tout égal d’ailleurs, un terrain rapporte un quart de plus en leurs mains qu’en toute autre, ce que je n’ai point de peine à croire, s’il est vrai aussi qu’ils aient le quart des biens du royaume, voilà un seizième au total qu’on n’aurait pas et dont on leur a l’obligation.

Vous m’objecterez peut-être que je suppose très-gratuitement que le bien des moines passera entre les mains des grands seigneurs ; à quoi je réponds : 1° que les grands seigneurs ou les gens très-riches, ce qui revient ici au même, possédant plus de la moitié des biens du royaume, il est à présumer qu’ils posséderont la moitié des biens qui rentreront en circulation ; 2° que les biens des moines ne sont pas seulement mieux cultivés que ceux des grands seigneurs, mais aussi que ceux des particuliers, parce qu’ils joignent aux soins et à l’attention de ceux-ci les moyens que les grands seigneurs ont sans en faire usage ; 3° enfin que, quand ces biens tomberaient entre les mains des particuliers, les moines, redevenus particuliers, y