Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/82

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rapproché les états. Il ne faut point ici me venir dire que la subordination est nécessaire. Il n’y a peut-être personne que je croie plus fermement que moi égal par la nature à ceux qui sont au-dessus et au-dessous de moi. J’ai vu, malgré cela, peu de gens qui obéissent plus ponctuellement que je n’obéis à ceux préposés pour me commander et qui se font plus ponctuellement obéir par ceux que le sort m’a soumis à tort ou à droit.

Je pense au surplus qu’il y aurait plusieurs réformes à faire chez les moines. J’avoue que plusieurs objections qu’on fait contre eux ne sont pas sans force ; mais ce qui me fâche, c’est de voir qu’on affecte de ne présenter que ce qui est contre. Je le dirais ici, je vous assure, si d’autres ne l’avaient pas fait pour moi. J’appelle un ouvrage philosophique celui où l’on expose et discute fortement, mais tranquillement, le pour et le contre ; et je relègue au rang des déclamations tout ce qui ne présente une chose que sous une de ces faces, avantageuses ou désavantageuses, quelque sagacité et quelque force d’ailleurs qu’on y mette.

C’est d’après la comparaison du pour et du contre faite de mon mieux, ce qui ne veut pas dire le mieux possible, que je ne vois aucune nécessité à détruire les moines, mais de grands avantages à les réformer. J’ajoute que ce n’est point pour contrarier, mais du plus profond de mon cœur que je m’’élève contre cet esprit de destruction en tout genre, qui ôte tout sans rien remettre à la place, et dont le résultat doit être nécessairement la destruction des empires eux-mêmes. Oui, c’est cet esprit qui, en détruisant toutes les religions au moment où elles commençaient à se perfectionner, a mis le peuple, à qui il en faut une, dans le cas d’en adopter une nouvelle, toujours dangereuse par l’abus que ceux qui succèdent aux premiers prêcheurs doivent nécessairement faire de la confiance aveugle que ceux-ci s’acquièrent ordinairement par l’austérité de leurs mœurs et par le zèle ardent qu’ils ont et montrent toujours pour les prêcher. Ce n’est qu’avec le temps que les religions prennent, par la vigilance des magistrats, et quelquefois par leur jalousie, cette forme, cette constitution politique, qui mettent les prêtres hors d’état d’abuser de la confiance que doivent avoir en eux des gens qui les voient, du pied de l’échelle de Jacob, presque en haut de cette échelle.