Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/83

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De sorte, m’allez-vous dire, qu’à vous entendre un État ne peut pas subsister sans moines. C’est, ajouterez-vous ironiquement, leur destruction qui a fait le malheur de l’Angleterre. Je ne dis point cela ; un État peut être sans doute florissant, et n’avoir point de moines. Le siècle de Louis XIV prouve qu’il peut être florissant et en avoir plus qu’il n’y en a aujourd’hui en France. On est heureux et malheureux dans les républiques ; on est heureux et malheureux dans les monarchies. Je voudrais qu’on s’attachât à tirer le meilleur parti possible de l’état actuel des choses, et qu’on ne fit point comme les enfants, qui brouillent les dames quand ils sont embarrassés sur ce qu’ils doivent jouer. Je soutiens plus : c’est que si les choses méritent réellement d’être changées, ce n’est que petit à petit qu’on pourra y parvenir sûrement et équitablement. Je sens qu’il est utile de faire trembler les puissants pour qu’ils n’abusent pas de leur autorité ; mais il n’est pas moins dangereux de révolter les faibles, et de les exciter à abuser de leurs forces réunies. Croyez-vous qu’il en résulterait un grand avantage pour le bonheur de l’humanité, seul but auquel doit tendre tout homme raisonnable dans ses discours comme dans ses actions ? Je n’ai pas tout dit, mais en voilà assez pour aujourd’hui. Je suis impatient, et ceci n’est point du tout une tournure, de suspendre toutes mes contradictions pour vous dire qu’elles ne m’empêchent pas que je vous reconnaisse pour mon maître, que je vous aime et que je vous embrasse de tout mon cœur.

— Il faut conserver ici le souvenir d’une guérison singulière que M. Tronchin vient de faire. Ce célèbre médecin a pris, au commencement de cette année, possession de la place de premier médecin de M. le duc d’Orléans. Un prieur des prémontrés de Blois est venu le consulter. Ce moine était tourmenté, depuis un grand nombre d’années, de maux de tête insupportables. Ces douleurs étaient si excessives que, dans les accès, qui se renouvelaient presque tous les jours, le malade était souvent tenté de se briser la tête contre le mur. Les temps d’orage et d’intempérie dans l’atmosphère lui étaient le plus funestes. M. Tronchin, après avoir examiné l’état et les symptômes de cette maladie, a ordonné au malade de se faire couper deux nerfs qu’il lui a indiqués : l’un au milieu de la joue,