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l’autre un peu plus en arrière, près de l’oreille. Le malade ayant déclaré qu’il aimait mieux souffrir l’opération la plus douloureuse que d’être exposé davantage aux douleurs qu’il supportait depuis tant d’années, le chirurgien Louis n’a pourtant pas voulu faire l’opération prescrite sans avoir un ordre par écrit, signé de M.  Tronchin. Cette opération s’est donc faite, il y a environ deux mois, sous les yeux et la conduite de M.  Tronchin. Elle a fait beaucoup de bruit. La Faculté de médecine, au désespoir des succès éclatants d’un rival si redoutable, n’a rien oublié pour rendre cette entreprise d’abord ridicule et ensuite odieuse. On répandit dans Paris que le moine était à toute extrémité, qu’il n’en réchapperait pas ; et le couvent des prémontrés de Paris, où le malade se faisait traiter, était assiégé tous les matins par une infinité de gens qui venaient savoir de ses nouvelles, et qui espéraient en apprendre de mauvaises. Le fait est que le prieur n’a jamais été en danger de cette opération, qu’il en est entièrement rétabli aujourd’hui, et qu’il est parfaitement guéri de ses maux de tête. J’ai ouï dire à M.  Tronchin qu’il avait eu occasion d’ordonner quatre fois cette opération dans le cours de sa pratique ; que son premier essai fut fait sur la femme de Rapin Thoyras, auteur de l’Histoire d’Angleterre, mais qu’il ne réussit qu’imparfaitement, parce qu’il ne fit couper que le nerf de la joue, sans toucher à celui près de l’oreille ; mais que les autres essais, en faisant les deux coupures, avaient toujours été suivis de la guérison parfaite du mal. Ce qui fait un honneur infini au savoir de notre Faculté de médecine, c’est qu’elle n’avait jamais entendu parler de cette opération, qu’aucun chirurgien de France ne l’avait jamais faite, et que, parmi les cent soixante docteurs dont la Faculté de Paris est composée, il n’y en a pas un qui sache quels sont les symptômes du mal de tête qu’on peut guérir par cette opération.


15 juillet 1766.

On s’occupe beaucoup à Paris de l’effroyable aventure qui vient d’arriver à Abbeville, dont on n’a entendu parler que confusément, et qui aurait rempli toute l’Europe d’indignation et de pitié si les âmes cruelles qui ont été les auteurs de cette tragédie n’avaient forcé les avocats de l’innocence et de l’hu-