Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/85

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manité au silence par leurs menaces. L’extrait d’une lettre d’Abbeville, joint à ces feuilles, vous mettra au fait des principales circonstances. On prétend que ce qu’on dit du sieur Belval n’est pas exactement vrai ; mais il est constant que des animosités particulières ont dicté la sentence d’Abbeville, et l’on assure que des motifs de la même trempe l’ont fait confirmer par un arrêt du Parlement, qu’il faut conserver comme le monument d’une cruauté horrible au milieu d’un siècle qui se vante de sa philosophie et de ses lumières.

La nuit du 8 au 9 août 1765, un crucifix de bois, placé sur un pont, à Abbeville, est mutilé à coups de sabre ou de couteau de chasse. Un peuple superstitieux et aveugle s’en fait un sujet de scandale. L’évêque d’Amiens, un des plus fanatiques d’entre les évêques de France[1], se transporte avec son clergé en procession sur les lieux, pour expier ce prétendu crime par une foule de cérémonies superstitieuses. On publie des monitoires pour en découvrir l’auteur. Cet usage de troubler par des monitoires les consciences timorées, d’allumer les imaginations faibles en enjoignant, sous peine de damnation éternelle, de venir à révélation de faits qui n’intéressent pas personnellement le déposant ; cet usage, dis-je, est un des plus funestes abus de la jurisprudence criminelle en France. Plus de cent vingt fanatiques ou têtes troublées déposent. Aucun ne peut dénoncer l’auteur de la mutilation, qui sans doute n’avait pas appelé des témoins à son expédition ; mais tous rapportent des oui-dire, des bruits vagues, qui chargent la principale jeunesse de la ville de propos impies, de prétendues profanations, de quelques indécences qui pouvaient mériter tout au plus l’animadversion paternelle. La justice d’Abbeville instruit le procès de ces jeunes étourdis. Il n’est plus question de ce crucifix mutilé, mais on juge les prétendus crimes révélés au moyen des monitoires. Il est aisé de se figurer la consternation d’une petite ville, où cinq enfants des principales familles, tous mineurs, se trouvent impliqués dans une procédure criminelle. Leurs parents les avaient fait évader ; mais la même animosité qui leur avait suscité cette mauvaise affaire dénonça leur fuite. On courut après eux, et des cinq l’on en prit deux, savoir le jeune cheva-

  1. Louis-François-Gabriel de La Motte.