Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/91

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d’Espagne, qui, tout grand politique qu’il était, n’échappe pas davantage à l’œil pénétrant de M.  de Luchet. Je pardonne de tout mon cœur à ce terrible historien. Il a épousé ma bonne amie, Mlle  Delon, de Genève ; il m’a l’air d’être mari commode ; il faudrait avoir bien de l’humeur pour l’empêcher d’écrire, surtout quand on n’est pas obligé de le lire. On dit cependant qu’il va quitter le métier de la littérature pour se charger de l’entreprise des fiacres gris[1]. On ne manquerait pas de lui appliquer le proverbe : il écrit comme un fiacre, s’il s’avisait de faire des livres pendant l’exercice de cette nouvelle dignité.

M.  Dorat donna en 1763 la tragédie de Théagène et Chariclée, qui eut le malheur de tomber. Il vient de la faire imprimer[2] avec le luxe et l’élégance dont il pare tous ses ouvrages, mais qui ne rendront pas celui-ci meilleur. Ce jeune poëte a la manie de ne pouvoir rien garder dans son portefeuille ; c’est une fâcheuse maladie. Lorsque Théagène tomba, M. Dorat fit une élégie sur lui-même, que vous pouvez vous rappeler. Il a fait depuis sur le même sujet des vers plus philosophiques, qui viennent de me tomber entre les mains. Ils me rassurent sur les chutes que M.  Dorat pourrait faire par la suite, et je vois avec plaisir


Qu’à tout événement le sage est préparé.


— Nous venons de revoir ici les deux aimables enfants de M. Mozart, maître de chapelle du prince archevêque de Salzbourg, qui ont eu un si grand succès pendant leur séjour à Paris en 1764. Leur père, après avoir passé près de dix-huit mois en Angleterre et six mois en Hollande, vient de les reconduire ici pour s’en retourner par la Suisse à Salzbourg. Partout où ces enfants ont fait quelque séjour, ils ont réuni tous les suffrages et causé de l’étonnement aux connaisseurs. Ils ont été dangereusement malades à la Haye ; mais enfin leur bonne étoile les a délivrés de la maladie et des médecins. Mlle  Mozart, âgée maintenant de treize ans, d’ailleurs fort embellie, a la plus belle et la plus brillante exécution sur le cla-

  1. Voir tome VI, page 508, note.
  2. Paris, S. Jorry, 1766, in-8o. Figure d’Eisen, gravée par de Ghendt.