Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/92

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vecin. Il n’y a que son frère qui puisse lui enlever les suffrages. Cet enfant merveilleux a actuellement neuf ans. Il n’a presque pas grandi ; mais il a fait des progrès prodigieux dans la musique. Il était déjà compositeur et auteur de sonates il y a deux ans. Il en a fait graver six depuis ce temps-là à Londres pour la reine de la Grande-Bretagne. Il en a publié six autres en Hollande pour MMme  la princesse de Nassau-Weilbourg. Il a composé des symphonies à grand orchestre, qui ont été exécutées et généralement applaudies ici. Il a même écrit plusieurs airs italiens, et je ne désespère pas qu’avant qu’il ait atteint l’âge de douze ans, il n’ait déjà fait jouer un opéra sur quelque théâtre d’Italie. Ayant entendu Manzuoli à Londres pendant tout un hiver, il en a si bien profité que, quoiqu’il ait la voix excessivement faible, il chante avec autant de goût que d’âme. Mais ce qu’il y a de plus incompréhensible, c’est cette profonde science de l’harmonie et de ses passages les plus cachés qu’il possède au suprême degré, et qui a fait dire au prince héréditaire de Brunswick, juge très-compétent en cette matière comme en beaucoup d’autres, que bien des maîtres de chapelle consommés dans leur art mouraient sans savoir ce que cet enfant sait à neuf ans. Nous l’avons vu soutenir des assauts pendant une heure et demie de suite avec des musiciens qui suaient à grosses gouttes et avaient toute la peine du monde à se tirer d’affaire avec un enfant qui quittait le combat sans être fatigué. Je l’ai vu sur l’orgue dérouter et faire taire des organistes qui se croyaient fort habiles. À Londres, Bach le prenait entre ses genoux, et ils jouaient ainsi de tête alternativement sur le même clavecin deux heures de suite en présence du roi et de la reine. Ici il a subi la même épreuve avec M.  Raupach, habile musicien qui a été longtemps à Pétersbourg, et qui improvise avec une grande supériorité. On pourrait s’entretenir longtemps de ce phénomène singulier. C’est d’ailleurs une des plus aimables créatures qu’on puisse voir, mettant à tout ce qu’il dit et ce qu’il fait de l’esprit et de l’âme avec la grâce et la gentillesse de son âge. Il rassure même par sa gaieté contre la crainte qu’on a qu’un fruit si précoce ne tombe avant sa maturité. Si ces enfants vivent, ils ne resteront pas à Salzbourg. Bientôt les souverains se disputeront entre eux à qui les aura. Le père est non-seulement habile musicien, mais homme de