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SEPTEMBRE 1768.
SEPTEMBRE

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1er septembre 1768.

Le petit roman de l’Ingénu, dont M. de Voltaire nous fit présent l’année dernière, eut le succès le plus brillant. Un auteur qui n’aurait jamais fait que cette bagatelle serait compté à juste titre parmi les plus beaux esprits de la nation ; dans les chefs-d’œuvre de tout genre que nous devons au premier homme du siècle, ce petit roman est à peine aperçu et se perd dans la foule, ou s’il est compté parmi les titres de M. de Voltaire à l’immortalité, ce n’est que parce qu’il est sans exemple qu’un vieillard de soixante-quatorze ans ait conservé la chaleur et les grâces de l’imagination, les agréments et le charme des écrits de sa première jeunesse.

Le succès du roman a fait naître l’idée de procurer à l’Ingénu un établissement sur le théâtre de la Comédie-Italienne, parmi les notables de l’opéra-comique du nouveau genre. Il s’est fait afficher le Huron, comédie en deux actes et en vers, mêlée d’ariettes, et a pris son rang le 20 du mois passé au milieu des applaudissements et des acclamations du public. Il est vrai qu’il doit l’accueil qu’il a reçu principalement à son musicien et aux acteurs, et qu’on a dit avec assez de raison beaucoup de mal de l’auteur de la pièce ; mais, dans la disette absolue où nous sommes de poëtes qui entendent ce genre, il faut encore savoir gré à celui qui n’entraîne pas son musicien avec lui dans sa chute, ou le féliciter s’il a trouvé un compositeur assez excellent pour l’empêcher de tomber malgré tout ce qu’il a pu faire pour se casser le cou.

L’auteur du Huron a cette obligation à son musicien. Il n’avait qu’à faire mettre sa pièce en musique par M. Kohaut, et c’eût été un moyen infaillible de tomber tout à plat : le génie de M. Grétry a soutenu le poëte sur le bord du précipice où sa maussaderie et sa maladresse l’auraient infailliblement jeté ; grâce à ce charmant compositeur, le Huron restera même au théâtre, malgré tout ce que le poëte a fait pour l’en faire chasser.

Il n’a pas senti qu’il faut avoir tout juste le double de la