Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

vie à Naples ; et quand on entend son harmonie et son faire, on n’en peut douter. Il a passé ensuite quelque temps à Genève, et puis il est venu à Paris. J’ai quelque regret de le voir abandonner une langue divine pour une langue si ingrate en musique ; mais si c’est là son arrêt de condamnation, qu’il s’y soumette et qu’il nous enchante ! Il avait commencé à travailler pour le théâtre de l’Opéra, en mettant en musique les Mariages Samnites, poëme de M. Légier, tiré des Contes de M. Marmontel ; il y a environ neuf ou dix mois qu’on en fit une répétition chez M. le prince de Conti, en présence de deux cents personnes du premier rang. Cette répétition se fit si précipitamment, avec tant de négligence ou de mauvaise volonté, qu’il n’y eut pas moyen d’y rien connaître ; et les directeurs de l’Opéra laissèrent là le compositeur et son ouvrage. Ces messieurs ont une peur de diable que la musique ne prenne racine dans leur boutique, et ne les force de se défaire de ce vieux et détestable fonds dont ils osent nous repasser les guenilles l’une après l’autre avec une témérité bien justifiée par la dureté et l’ineptie de nos oreilles. Le succès brillant que M. Grétry vient d’avoir sur le seul théâtre que la musique puisse regarder comme son asile en France peut du moins faire sentir à ces tristes directeurs quel homme ils ont dédaigné ou desservi. Tous les polissons réussiront avec leurs pauvretés sur le théâtre de l’Opéra ; vous verrez que les deux seuls hommes qui sachent faire de la musique en France, Philidor et Grétry, seront les seuls aussi qui ne pourront réussir à l’Opéra.

On dit que M. Grétry a pris quelques-uns des plus beaux morceaux des Mariages Samnites pour les mettre dans le Huron. Le récitatif obligé et l’air de Mme Laruette sont sans doute de ce nombre. Son Huron tel qu’il est peut se placer hardiment à côté de Tom Jones, le plus bel ouvrage qui soit au théâtre, et bien hardi celui qui osera se mettre au milieu.

Puis que nous avons parlé de l’Opéra, que rien ne devrait rappeler quand il est question de musique, il faut dire ici qu’on avait proposé de donner l’opéra d’Ernelinde, par Philidor, pendant le séjour prochain du roi de Danemark en cette capitale ;

    a laissé quarante-quatre partitions, qui toutes prouvent un talent véritable, et dont plusieurs seront longtemps entendues avec plaisir malgré les révolutions que la musique a subies et celles qu’elle subira sans doute encore. (T.)