Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
SEPTEMBRE 1768.

mais un grand politique ayant remarqué qu’il y avait dans cet opéra un prince danois dans les fers, quoique injustement, et s’en tirant glorieusement, on prétend que cet ouvrage ne sera pas repris et qu’on donnera l’opéra de Phaéton, dont l’histoire n’a de liaison avec celle du Danemark qu’autant qu’il peut y avoir des cochers maladroits en tout pays. On dit que les trois spectacles tâcheront de contribuer de leur mieux à l’amusement de ce monarque, et que Mlle Clairon jouera pour Sa Majesté successivement les rôles d’Ariane, d’Aménaïde et d’Électre, sur le théâtre des Menus-Plaisirs du roi. Il court, à l’occasion de l’arrivée du roi de Danemark, un mot de M. le baron de Gleichen, son ministre en France, et ce mot a eu un grand succès. Une dame de la cour, qu’on ne nomme point, apostropha M. de Gleichen au milieu d’un cercle à Compiègne, et lui dit : « Monsieur l’envoyé, on dit que votre roi est une tête… — Couronnée, madame, » lui répondit M. de Gleichen avec son air doux, humble et fin, en s’inclinant profondément.

— Un Anglais causant dernièrement avec M. Diderot lui disait : « Je ne sais comment vous avez fait en France pour fixer votre langue depuis plus de cent ans et la rendre pour ainsi dire immuable, tandis que la nôtre varie sans cesse et n’a point de règle constante. — C’est, monsieur, lui répondit le philosophe, que vous n’avez pas comme nous quarante oies qui gardent le Capitole. » Si ce mot vient aux oreilles du vieux Piron il sera, je crois, très-fâché de ne pas l’avoir dit ; mais si les quarante oisons de l’Académie continuent de marcher dans le sentier bourbeux qu’ils ont enfilé depuis quelque temps, ils seront bientôt couverts de boue, et, au lieu de garder le Capitole, ils l’auront trahi et livré. Ce qui vient d’arriver au sujet du prix de poésie que l’Académie avait à distribuer cette année est tout à fait scandaleux. Après avoir exclu du concours la pièce de M. Rulhière pour des motifs étrangers au mérite de la poésie, l’Académie a décerné le prix à M. l’abbé de Langeac, auteur d’une Lettre d’un fils parvenu à son père laboureur. Cet abbé de Langeac est un enfant de quinze ans. Il est fils de cette célèbre Mme Sabatin qui a épousé un marquis de Langeac, il y a quelques années, et qui, ainsi que ses enfants, en porte le nom depuis cette époque. Son fils l’abbé avait pour concurrent au prix M. de La Harpe et plusieurs autres poëtes qui ont un peu