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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

de réputation. Vous me direz que si l’abbé enfant a mieux fait que ses rivaux, l’Académie n’a fait que justice en le couronnant. Mais cette Lettre d’un fils parvenu à son père laboureur est misérable. Elle est fort courte et on ne peut pas la lire sans être excédé de sa pauvreté et de sa platitude. Cela n’annonce aucun talent, cela ne renferme aucune idée passable. C’est le ramage insipide d’un petit serin qui n’a pas plus de sang dans ses veines que de cervelle dans sa tête. Si, parmi les quatre-vingt-six pièces que l’Académie avait reçues pour disputer le prix de poésie, il ne s’en est trouvé aucune qui ait été jugée digne de l’emporter sur la Lettre du fils parvenu, il ne fallait pas donner de prix du tout ; il fallait que l’Académie le réservât pour l’année prochaine et pour un concours plus digne de l’avoir pour arbitre. Mais sans connaître la pièce intitulée le Philosophe, que M. de La Harpe avait envoyée au concours, je soutiens qu’il est impossible qu’elle n’ait pas été supérieure à cette pitoyable Lettre d’un fils parvenu, car enfin M. de La Harpe sait faire des vers ; il est bien difficile qu’il en ait fait une centaine sans en rencontrer quelques-uns d’heureux, et s’il y a un seul bon vers dans sa pièce elle méritait la préférence sur celle de M. de Langeac. M. de La Harpe n’a pas voulu faire imprimer son discours en vers. Il dit que c’est par égard pour l’Académie ; cela peut n’être pas prudent à dire, mais je crois cela vrai dans toute sa rigueur ; bien plus : je soutiens que le discours de M. Le Prieur, avocat au Parlement, intitulé la Nécessité d’être utile, qui a concouru et qu’on a imprimé depuis, est très-supérieur à la pièce couronnée, et qu’elle ne devait pas lui disputer le prix un instant.

Cette bassesse des Quarante a remporté de son côté le prix de l’indignation publique, qui lui a été décerné sur-le-champ. Et d’abord l’Académie s’est jugée elle-même. Ordinairement elle publie avant la fin de juillet le nom du poëte couronné ; cette fois-ci elle a tenu le cas secret jusqu’à la séance publique. Malgré ses précautions, la chose s’est ébruitée quelques jours auparavant ; le secret même qu’on affectait n’était qu’une maladresse insigne, puisqu’il préparait le public à une décision extraordinaire et qu’il redoublait sa curiosité. Lorsqu’on sut le nom du poëte couronné, le mépris pour la décision de l’Académie perçait déjà de tous côtés. Cependant les jugements res-