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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

jamais lu un seul mot de tout cela dans le recueil des miracles du saint diacre Pâris, et il a raison. J’ai tort de lui parler de choses qui tiennent à la connaissance de l’antiquité ; il faut avant tout qu’il apprenne son rudiment ; quand il aura fait les basses classes avec quelques succès, nous verrons si l’on peut espérer de lui apprendre un peu de latin.

Jugez, je vous supplie, de l’état des études dans un pays où l’abbé de La Bletterie, en sa qualité de professeur d’éloquence, explique à la jeunesse les Annales de Tacite depuis plus de vingt ans, et où il jouissait sur ce point de la plus haute réputation, qu’il aurait conservée tout entière s’il n’avait pas eu la sottise de publier sa traduction. Monsieur le professeur d’éloquence, vous ne savez pas à quel point vos leçons sont éloquentes et touchantes pour un bon citoyen ; on ne peut presque y penser sans pleurer.

Au reste, j’ai dit que tout le travail de vingt ans de ce coupable pédant se réduisait à la traduction des six premiers livres des Annales. Il n’ose s’engager à nous promettre le reste, le terme de la plus longue vie n’y suffirait point ; mais après le succès qu’il vient d’avoir, quelles que soient sa vanité et sa confiance, nous sommes très-sûr qu’il ne se souciera plus de paraître en public. Comme la plus grande partie du cinquième livre des Annales est perdue, il a eu la bonté de réparer cette brèche, et de faire le Tacite des trois années qui nous manquaient. Je n’ai pas eu le temps de vérifier si son supplément est copié d’après les suppléments de Freinshemius ; mais ce que j’ai bien vu, c’est que son supplément est digne de sa traduction : tout est écrit dans le style élégant et noble dont vous avez vu l’échantillon.

On a conté, à propos de la bassesse avec laquelle il a reçu l’aumône des trois cents exemplaires vendus à un louis, un trait d’avarice qui est neuf et que les faiseurs de comédies ne doivent pas ignorer. On voulut un jour retenir l’abbé de La Bletterie à souper, dans une maison un peu éloignée de son quartier ; il y consentit à condition qu’on lui payerait vingt-quatre sous pour pouvoir s’en retourner en fiacre sans qu’il lui en coûtât rien. Ce traité fut accepté, et on lui donna la pièce d’argent. Après souper on voulut lui envoyer chercher le fiacre ; il s’y opposa, et dit qu’il le prendrait lui-même sur la place ; il esquiva ainsi