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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

raient à chaque instant dans cette langue, puisque le plus souvent ni la chose elle-même, ni rien d’approchant, n’existe ni dans le gouvernement français, ni dans sa jurisprudence, ni dans sa politique intérieure. On se tirerait, je pense, plutôt d’affaire en tentant une traduction anglaise, et l’on trouverait peut-être dans cette langue beaucoup plus facilement les termes dont on aurait besoin, parce que, en Angleterre, la jurisprudence est aussi immédiatement liée aux affaires de la nation et à la politique, et que, dans tout pays libre, l’étude des lois devient l’occupation de tous les ambitieux et des meilleurs esprits, et, par conséquent, la jurisprudence une science pleine de finesses et de subtilités. Un homme savant peut bien se proposer d’écrire des discours, des dissertations, des commentaires sur Tacite ; mais il n’y a qu’un idiot comme l’abbé de La Bletterie qui puisse former le projet de le traduire, et y perdre vingt ans de sa vie.

— Parmi les personnes qui ont eu à se louer de la politesse de M. l’abbé de La Bletterie, et qui lui doivent des remboursements pour les à-compte qu’ils en ont reçus, il se trouve M. Linguet, avocat. Ce M. Linguet est l’auteur de plusieurs ouvrages qui ont tous fait sensation, mais dont aucun ne lui fera une réputation solide. On sent, en lisant cet auteur, qu’il vaut mieux que ses livres, qu’il vit en mauvaise compagnie, qu’il faudrait préliminairement qu’il se mît dans la bonne, et qu’il mûrît sa tête, qui ne paraît pas la meilleure de ce monde, afin d’obtenir avec le temps un rang dans la littérature ; car il ne manque pas d’idées, et son coup d’œil n’est pas commun. Son Histoire impartiale des Jésuites est de tous ses ouvrages celui qui a eu le plus de succès[1] ; dans son Histoire des Révolutions de l’empire romain[2], qu’il a publiée il y a plusieurs années, et qui contient la vie des premiers empereurs de Rome, M. Linguet avance plusieurs paradoxes sur Tibère, sur Néron et sur d’autres personnages célèbres. Ces paradoxes s’éloignent à la vérité beaucoup des idées reçues ; mais il ne serait peut-être pas impossible de leur donner un grand degré de vraisemblance. L’abbé de La Bletterie, qui n’a rien de ce qu’il faut pour en-

  1. Voir précédemment, page 34.
  2. 1766, 2 vol.  in-12.