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SEPTEMBRE 1768.

ce sont les plus ordinaires ; raisonnements de cloches, comme ceux de Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, ou de J.-J. Rousseau ; enfin, raisonnements d’hommes, comme ceux de Voltaire, de Buffon, de Diderot. Si vous voulez savoir au juste comment sont faits les raisonnements de cruches, lisez l’ami Jean-Georges et l’ami Mathias. Le premier n’a pas voulu manquer une si belle occasion de tomber sur la friperie des philosophes ; mais il est si plat, il est si entièrement et si universellement sifflé, que je doute que le patriarche de Ferney s’abaisse à relever cette pauvre Oraison funèbre par quelque facétie : la cause de Dieu ne réussit pas aux Pompignan.

— Un barbouilleur, qui s’appelle M. Dagues de Clairfontaine, de l’Académie d’Angers, s’est avisé de prévenir les deux prélats, et de faire imprimer une espèce d’oraison funèbre, sous le titre de Premier Cri d’un cœur français sur la mort de la reine. Il a choisi le même passage du Livre de la Sagesse qui a servi de guide-âne à l’ami Jean-Georges. Il est tout à fait étrange qu’un bavard qui passe sa vie dans les cafés à disserter sur les pièces nouvelles, et qui n’a aucune vocation pour l’état ecclésiastique, donne à son barbouillage la forme d’un sermon. Voici ce qu’on lit dans une note de la page 4. Il rappelle le voyage que la reine fit en 1765, en Lorraine, auprès de son père. Elle passa à la Ferté-sous-Jouarre. « S’étant arrêtée, dit l’auteur, sous une allée d’arbres à l’entrée de la ville, on lui présenta, suivant l’usage, le pain et le vin. Cette princesse prit un pain, le rompit en deux et en mangea, ainsi que de quelques fruits de la saison. Tout le monde fut pénétré de cet acte de bonté. La ville a consigné dans ses registres cet événement si flatteur et si honorable. » Que faut-il penser d’une ville qui consigne dans ses actes comme un événement honorable que la reine a mangé du pain et des pêches, et d’un auteur qui est pénétré de cet acte de bonté ? Si cet auteur n’était pas digne du dernier mépris, il faudrait le punir comme empoisonneur public, pour avoir représenté un acte de gourmandise très-ordinaire comme un acte de bonté rare. Si vous trouvez un pays où un homme qui écrit de telles bassesses soit traité en criminel de lèse-majesté, et condamné à faire amende honorable devant l’hôtel de ville dont il a osé déshonorer les fastes, dites que ce pays est habité par des hommes.