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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

— Nous avons depuis quelques mois de Nouveaux Voyages aux Indes occidentales, contenant une relation des différents peuples qui habitent les environs du grand fleuve Saint-Louis, appelé vulgairement le Mississipi ; leur religion, leur gouvernement, leurs mœurs, leurs guerres et leur commerce ; par M. Bossu, capitaine dans les troupes de la marine : deux volumes in-12, avec quelques estampes. J’observe en passant, à M. Marmontel, que si M. Sedaine avait voulu mettre l’Ingénu sur le théâtre, il aurait commencé par lire avec beaucoup de soin ces Voyages de M. Bossu, afin de donner à son Huron la physionomie américaine. Ces Voyages sont écrits avec une extrême simplicité, et c’est pour cela même que vous les lirez avec un extrême plaisir. On n’a nulle peine à croire à la véracité de M. Bossu, elle perce de tous côtés ; l’auteur n’a ni assez d’esprit, ni assez d’artifice, ni aucun projet pour vous dire autre chose que ce qu’il a vu. Les détails qu’il nous donne des nations sauvages parmi lesquelles il a vécu s’accordent non-seulement avec ce qu’on en sait d’ailleurs, mais on sent qu’ils sont vrais, comme on juge qu’un portrait est ressemblant quoiqu’on n’en connaisse pas l’original. Ces détails sont extrêmement intéressants par la simplicité et la naïveté des mœurs qu’ils nous retracent.

On voit là l’homme tel qu’il est à l’origine de la société ; car ces nations que nous appelons sauvages sont très-civilisées. Nous avons vu en France de nos jours le dévouement d’un fils pour son père, faiblement célébré par l’auteur de l’Honnête Criminel. Vous trouverez dans la relation de M. Bossu l’exemple du dévouement d’un père pour son fils, dévouement qui va jusqu’au sacrifice volontaire de la vie, et dont le sacrifice est consommé. Ce fait historique est extrêmement touchant, et fournirait le sujet d’une superbe tragédie. M. Bossu a cru qu’il pouvait être aussi véridique sur les officiers français employés au Canada et dans la Louisiane que les sauvages : il a nommé l’honnête homme et le fripon chacun par leur nom ; cette simplicité lui a très-mal réussi.

M. de Kerlarec, ci-devant gouverneur de la Louisiane, est un de ceux dont M. Bossu dit beaucoup de mal sans se gêner. Si cet officier est par hasard honnête homme, il est bien à plaindre ; car sa probité est vivement attaquée par un grand